Linda Louis – Cuisine campagne, cuisine sauvage

lindalouiscerflinda4En deux ans, Sat’info vous a déjà parlé de Linda Louis à plusieurs reprises dans ses pages Librairie. Celle qui officie depuis 2006 sur son blog Cuisine campagne* travaille actuellement à l’écriture de son dixième livre, qui paraîtra en octobre aux éditions La Plage. Après avoir séduit les plus jeunes avec son Atelier des bonbons bio puis ouvert l’appétit de lecteurs encore plus exigeants à travers Tomates anciennes et gourmandes, Linda nous a livré en 2011 une véritable bible de la cuisine sauvage : L’Appel gourmand de la forêt. Tous publics, ce livre crée chez celui qui s’y plonge le besoin impérieux de saisir un panier et de courir en forêt glaner le nécessaire pour passer de la théorie à la pratique. Il a aussi permis à son auteur de révéler toute l’étendue de ses talents culinaires et photographiques, mais également sa capacité à partager un savoir quasi encyclopédique de manière concise et agréable… un art trop peu répandu !

Au-delà des livres, il y a tout un univers : celui d’une cuisine campagnarde sans être rustique, sauvage mais pas inaccessible, végétarienne à 90% et écolo à 200%. Soit une cuisine – et une dame – qui donne envie de voyager tout près de chez soi comme à l’autre bout du monde. Prolixe, Linda a réalisé plusieurs ouvrages tous aussi spécifiques et réussis : Délices déshydratés, Châtaignes, Baies et petits fruits. Puis, fin 2013, à travers la collection « Epicerie du monde », elle nous emmène en voyage en Inde, en Italie et au Liban. Fiabilité des recettes, esthétique recherchée mais sans chichis, clarté et richesse du propos : trois excellentes raisons de vous inviter à faire connaissance aujourd’hui avec cette nouvelle grande dame de la cuisine bio.

 

Interview

cerfsetbichesNous voici donc à l’orée d’une immense forêt berrichonne. Linda Louis a la chance de pouvoir y aller et venir, son compagnon ayant la charge de l’exploitation forestière. En y pénétrant, on réalise la source inépuisable d’inspiration que constituent les arbres majestueux qui s’entremêlent à perte de vue. Une harde de cerfs déboule puis se perd dans le dédale de branches. Quiétude, énergie, intensité. Magie des lieux… Ambiance.

Midi. Linda s’affaire avec toute l’efficacité qui la caractérise ; en quelques minutes un bon feu brûle dans le poêle et le déjeuner est servi ! Kebbés de boulgour et de potimarron, riz basmati, grenade, yaourt de brebis et amandes torréfiées au zaatar se mêlent dans de grandes assiettes. Une pincée de sumac pour parfaire le tout… On savoure notre chance d’être assis à cette table. Bon appétit !

Merci pour ce délicieux déjeuner dont l’évocation a déjà mis l’eau à la bouche des lecteurs de Sat’info. Où vas-tu chercher tant d’inspiration et d’énergie ?
Je lis autant de livres que je surfe sur internet. Mon cerveau est comme un marché où je stocke des informations que je viens glaner pour leur apporter ma touche personnelle. Parfois les idées germent aussi toutes seules ! Mais disons que cuisiner n’est pas une fin en soi, c’est plutôt une passerelle qui me permet de me centrer sur mes envies, d’évacuer du stress. On a tendance à vivre dans l’urgence, à tout vouloir tout de suite. J’ai beau être une boule d’énergie, je plaide pour la lenteur. La cuisine me ralentit… C’est la « slow food » ! Etre patiente et prendre le temps, c’est respecter ce que je mange et donc me respecter moi-même.

Comment en es-tu venue à créer un blog de cuisine ?
Diplômée d’une filière littéraire, j’ai longtemps travaillé dans la communication – dans le secteur du tourisme puis dans celui de la banque-assurance. Mais à 25 ans, j’ai eu un vrai cas de conscience. J’avais besoin de me sentir épanouie sur le plan personnel et utile d’un point de vue social. Un grand classique ! C’est mon compagnon qui m’a soufflé l’idée de mêler mes passions pour l’écriture, la photo et la cuisine en en faisant un blog.

galettepdtberrichonneTon blog s’appelle Cuisine campagne. Si « campagne » était un adjectif, il serait ton qualificatif ?
Née dans le Berry, j’y ai toujours vécu et je suis restée attachée à mes racines. Ma cuisine, c’est du « fait maison / terroir ». L’expression « cuisine campagne » englobe cette définition et le blog m’a permis de découvrir quel type de cuisine je voulais partager. Au début, je refaisais les recettes de ma mère, qui mange bio depuis 30 ans… Puis ça a été la crise d’adolescence : j’ai essayé tous les styles, avant de trouver le mien. Au final, ce sont les recettes de cuisine sauvage et celles du terroir berrichon qui ont le plus de succès sur mon blog.

Par exemple ?
La galette aux pommes de terre berrichonne ! Il s’agit d’une pâte feuilletée élaborée avec de la purée de pomme de terre en plus de farine et de beurre. Trouver « la » bonne recette, c’est un peu le graal de la cuisine du Berry. Je ne suis pas peu fière d’y être parvenue !

On te comprend ! Mais la notion de terroir n’est-elle pas un peu fourre-tout ?
C’est vrai que le terme est galvaudé. Pour moi, la cuisine du terroir se définit par l’utilisation de produits locaux et la reproduction d’un savoir-faire ancré dans les traditions. Le terroir, ce sont des hommes, des lieux, des produits. C’est aussi bien la cuisine bourgeoise que paysanne – que ce soit celle du quotidien ou du dimanche. Dans le Berry, on retrouve la tarte Tatin, le pâté de Pâques (une tourte farcie de chair à saucisse et d’oeuf dur), la potée berrichonne (à base de haricots rouges, de saucisse fumée et de vin rouge), le sanciaux (crêpe fondante aux pommes caramélisées), le clafoutis… mais aussi la salade de pissenlit aux oeufs mollets, croûtons et vinaigrette. La culture de la cuisine sauvage est profondément inscrite dans les traditions gastronomiques du Berry.

 

La cuisine sauvage

lindalouisaildesours3Via ton blog, tu as été contactée par les éditions La Plage qui t’ont proposé d’écrire des livres de cuisine bio. Celui qui te trottait dans la tête depuis le début, c’est L’Appel gourmand de la forêt ?
Mon objectif était d’écrire un livre de cuisine sauvage très gourmand, loin des clichés de la cuisine aux plantes minimaliste et tristounette. J’ai passé un an à temps complet sur ce projet. Sa réalisation m’a littéralement transcendée… Je vivais à l’époque dans une grande maison de campagne avec un potager dont je ne pouvais plus profiter car mon voisin répandait sans cesse des traitements chimiques sur ses vergers. J’ai fini par déménager, mais pendant l’écriture du livre j’ai passé des journées entières volets fermés, portée par l’énergie de cette forêt où je retournais aussi souvent que possible… Ce livre, c’était à la fois la joie de passer beaucoup de temps en pleine nature et une véritable course contre la montre. La floraison de l’acacia, par exemple, ne dure que deux semaines. Un orage peut tout ravager en une nuit… J’étais constamment sur le terrain, l’appareil-photo dans la voiture !

Tu dois avoir des anecdotes à partager !
Mon plus beau souvenir, c’est un jour où je cueillais des violettes. J’ai entendu un bruit dans un buisson et suis tombée nez à nez avec un renard. En le suivant, j’ai débouché sur une station de violettes incroyable, qui reste mon meilleur spot à ce jour ! Moins drôle : deux bonnes heures passées à mettre en place un plat sur une jolie nappe à pique-nique, et l’orage qui déboule juste au moment de la photo…

libndalouissanglierComment as-tu accumulé tout ce savoir sur les plantes sauvages ?
Je me suis véritablement intéressée à la cuisine sauvage en 2005 et l’écriture du livre en 2010-2011 m’a permis de parfaire mes connaissances. Je suis une fille d’ouvriers éduquée dans le respect de la nourriture : la qualité du produit, le fait de ne pas gâcher… J’ai toujours aimé jouer à la dinette avec les plantes que je ramassais. Mes parents avaient un potager. Ecosser 10 kilos de petits pois, passer le dimanche à faire des conserves en écoutant la radio avec ma grand-mère, je connais par coeur ! Je ne rechigne donc pas quand il s’agit de ramasser de l’ail des ours 4 heures durant ou de trier des asperges des bois. Je suis très méticuleuse, j’aime la pugnacité et le côté répétitif qu’il faut savoir mettre dans le tri des récoltes. Et puis la cuisine sauvage est un véritable antistress, un exutoire… Quel plaisir d’aller cueillir les châtaignes et les mûres, puis d’ouvrir le pot de confiture quelques mois plus tard ! C’est comme un voyage qui commence par la cueillette et se termine dans l’assiette.

croquemonsieurfeuillesviolettesEt que trouve-t-on dans cette assiette ?
Les incontournables classiques : la soupe à l’ortie, bien sûr, mais aussi le sirop de sureau, les beignets de fleur d’acacia ou la crème de châtaigne. Mais le temps passé en forêt à récolter des plantes ou des fleurs nourrit la créativité ; je suis particulièrement fière de mes recettes de pain d’ail des ours, de croque-monsieur aux violettes et au chèvre ou encore de gelée de pommes sauvages… Les ingrédients bio trouvent une harmonie parfaite avec le contenu des paniers « retour de forêt ».

Ton prochain livre, à paraître à l’automne, porte sur la cuisine végétarienne du feu. Un challenge, à double titre !
Oui, c’est un vrai défi de montrer tout ce que l’on peut faire autour d’un feu, a fortiori en laissant la viande de côté. Ce sera comme un manuel de cuisine et de débrouille en forêt ! Comment allumer un feu, l’entretenir, en utiliser les flammes, les braises, les cendres, la fumée… Il y a une large palette de méthodes à explorer. Dans la forêt, il suffit de glaner des morceaux de bois gras chargés de résine, de l’amadouvier – un champignon qui se consume comme du papier d’Arménie -, ou encore de l’écorce de bouleau séchée, qui contient des essences inflammables. Apprendre à faire le feu permet de ne pas en avoir peur et de profiter de ses vertus apaisantes. Je vais montrer comment faire du tofu fumé, des pommes Tatin, du gâteau à la broche, des plats mijotés dans des marmites, du pain… en utilisant toutes les cuissons possibles, directes et indirectes, y compris le four à pain.

Que peut-on faire facilement quand on n’est pas un pro du feu du camp ?
Cuire des oeufs durs en les mettant 5 à 10 mn dans des cendres. Ou bien, avec des braises, faire fondre un camembert dans sa boîte (elle-même protégée de papier aluminium), ou cuire des oeufs cocotte cassés dans des demi-coques d’orange. Au-dessus de la flamme, on fait griller des brochettes de légumes ou de pain perdu. On peut aussi enrouler une pâte à pain autour d’une branche, elle cuira très facilement.

barbecueenforetQue penses-tu des barbecues allumés aux allume-feux « classiques » et préparés au charbon de bois ?
C’est une hérésie ! Premièrement, ce n’est pas très écologique. La plupart des allume-feux vendus dans le commerce contiennent des éléments toxiques dont on ne sait s’ils s’évaporent correctement une fois bien enflammés. Une boule de papier journal, une cagette de récup’, une allumette et le tour est joué. C’est plus formateur pour les enfants également. Deuxièmement, au sujet du charbon de bois, il faut savoir qu’il est rarement fabriqué en France et détient un impact écologique plus lourd que les branches mortes ramassées en forêt, dans son jardin ou issues de la taille des arbres en hiver. Cela demande peut-être plus d’organisation mais cela a du sens.

Le feu et la fumée sont souvent accusés d’être eux-mêmes nocifs pour les aliments…
C’est la surcuisson des sucs de la viande qui est la plus nocive, mais il est vrai que toute cuisson à forte chaleur détruit des nutriments. Elle doit par conséquent relever de l’exception et demeurer festive, autour de la cheminée à Noël ou d’un barbecue en été. En revanche, le feu permet également des cuissons indirectes. Je pense aux recettes mijotées dans des marmites en fonte ou bien aux aliments cuits sur une grille autour de laquelle on dispose des braises et que l’on recouvre. Cette chaleur, dite rayonnante, est tout à fait saine.

L’eau de bouleau

C’est la première recette sauvage de l’année (en février-mars), qui permet aux cueilleurs de renouer avec la nature. La cure d’eau de bouleau (sur 2 à 3 semaines) a des vertus dépuratives avérées. On la récolte en perçant le tronc de l’arbre et en plaçant un tuyau relié à un bidon pour la laisser couler. Vous trouverez également de l’eau de bouleau fraîchement récoltée dans nos rayons.

La part du colibri

Quand je te lis, je suis impressionnée par ta connaissance quasi encyclopédique des sujets. Tes textes sont denses et pesés à la virgule près, toujours limpides….
C’est que j’appelle être « en mode Wikipédia » ! Je ne peux pas concevoir d’écrire un livre sans donner toutes les informations nécessaires autour des recettes ou des ingrédients. Je fouille les encyclopédies, les sites internet, j’interviewe des gens. Je peux passer des heures à chercher une réponse à une question et je vérifie toujours mes sources. Un exemple : le sumac, une épice dont je traite dans mon livre Liban. On peut lire sur certains forums internet qu’il est possible de consommer n’importe quelle variété poussant en France dans les jardins. Pour vérifier, j’ai contacté tous les botanistes de mon carnet d’adresses. Cela m’a pris deux jours, pourtant la réponse occupe une toute petite ligne dans mon livre. Mais c’était crucial, car la réponse est non : on ne consomme pas n’importe quel sumac !

Tarte frangipane rhubarbe Linda LouisAutre caractéristique de tes livres : leur esthétique impeccable. De belles photos, c’est essentiel ?
Au départ, je n’ambitionnais pas de faire de belles photos. Aujourd’hui, je suis convaincue qu’elles contribuent à faire passer le message ! Le bio est encore souvent taxé de « moche », simplement parce qu’il est peu mis en scène. Cela a encore plus de sens de rendre esthétique quelque chose qui est intrinsèquement bon.

Tu es une photographe autodidacte ?
Complètement. J’ai appris en bricolant toute seule et j’ai de grosses lacunes. J’ai investi dans du bon matériel et me suis découvert une passion pour le stylisme culinaire (l’agencement des plats préalable à la prise de vue). C’est une vraie joie, au démarrage d’un projet, de me plonger dans l’ambiance que je vais lui donner. J’ai une grange remplie de vaisselle, de tissus et de meubles chinés dans les brocantes ! Pour les décors, je récupère des vieux volets en bois que je peins et que je laisse patiner dehors pendant plusieurs mois. Prendre une seule photo me demande environ 2 heures. C’est un ballet incessant entre l’appareil et le plan de travail, parfois juste pour trouver le bon positionnement d’un morceau de tissu ! Je prends des dizaines de clichés. Je dirais qu’une photo sur cent est touchée par la grâce… Mais si le résultat est beau, ceux qui ne sont pas encore convaincus par la cuisine bio vont forcément vouloir essayer. Ça en vaut donc la peine.

biscuitrouleframboises1L’esthétique, c’est le meilleur moyen d’inciter des récalcitrants à se mettre à la cuisine bio ?
Il faut surtout éviter de tomber dans la critique ou le prosélytisme. Un bon repas vaut mieux qu’un long discours ! Pour convaincre, organisez un barbecue, mais au lieu de sortir les merguez-saucisses, préparez un buffet libanais avec plein de mezzés, des aubergines grillés, des falafels… et quelques brochettes de poulet mariné. Tout le monde se régale et 80% du menu est végétarien. Quand vous invitez des amis autour d’un bon repas tout simple, profitez-en pour leur faire découvrir ni vu ni connu un ingrédient un peu spécial : de la bergamote au lieu du citron, du quinoa à la place du riz, etc. Tout le monde aime manger ; c’est un excellent prisme pour faire bouger les choses à condition d’y aller doucement.

Rendre la cuisine bio plus belle, c’est ta manière de « faire ta part », comme dirait le colibri ?
C’est vrai que la légende du colibri telle que l’a reprise Pierre Rabhi a du sens pour moi. C’est la confiance dans l’écologie.

Raconte-la-nous, car tout le monde ne la connait pas…
Un jour, un incendie se déclare dans une forêt et tous les animaux fuient sans tenter d’y remédier. Seul un colibri s’active à prélever de minuscules gouttes d’eau dans la rivière. Un tatou se moque de lui : « Tu crois que tu vas parvenir à l’éteindre cet incendie, avec ton petit bec ? ». « Peut-être pas, tatou », lui répond le colibri, « mais moi je fais ma part. Et toi ? ». Si je peux donner envie à des gens de se mettre à la cuisine bio et de rendre leur mode de vie plus écolo, alors j’aurai fait ma part !

 

Dans l’assiette de Linda

Mes indispensables : riz basmati, lentilles, pois chiches, laits végétaux, sucre de canne blond, farines spéciales, flocons de céréales et… les oeufs de mes poulettes (en totale liberté sur 1 hectare de jardin !).

Mes produits cultes : Les purées d’oléagineux. L’huile de chanvre, délicieuse en vinaigrette. Les graines de courge : j’en mets partout, dans le pain, les salades…

Mon petit-dèj : un smoothie avec lait végétal, purée d’amande ou de cajou, fruits du moment, sirop d’agave ou miel. Granola maison à base de sarrasin cru.

saladeenergie1Les petits plats en famille : avec deux ados à la maison, je privilégie la cuisine italienne. Je cuisine des pâtes avec différents pestos maison (à l’ail des ours, aux tomates séchées) ou bien avec légumes grillés, et beaucoup de pizzas.

Mon assiette à moi : je craque pour les énormes salades composées très graphiques. J’y mets 1 ou 2 sortes de salades vertes, 2 sortes de graines d’oléagineux (courge, sésame), des graines germées, un légume racine grossièrement râpé et une vinaigrette au balsamique. Je l’accompagne de toasts au fromage de chèvre.

Mon dessert fétiche : le fondant au chocolat à base de purée de châtaigne, de chocolat fondu, de sucre complet, de farine de riz et de purée d’amande (voir Châtaignes).

Mon truc en plus : réajuster l’assaisonnement d’un plat avec des poivres rares (Sarawak, Madagascar, Malabar…). Toujours tout goûter avant de servir. Ma dernière trouvaille : remplacer le beurre pommade par de la chair d’avocat mixée. Dans une mousse au chocolat, ça marche du tonnerre ! (200 g de chocolat fondu + 200 g de chair d’avocat mixée + 4 blancs d’oeuf montés en neige).

 

Pour toutes les photographies, sauf le portrait : (c) Linda Louis

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