Du bio en Corse ?? Certainement mais, la nature n’est-elle pas intacte ici ? Un pays de montagnes désertes habillées par le maquis, de petites villes sans zones industrielles salissantes ni grandes cultures, et, pour garantir tout ça, le giron bienveillant de mare nostrum. La vérité n’est pas loin. Dans un monde parfait, l’île serait restée un havre où l’agriculture des ancêtres n’aurait pas pris le virage obligatoire de la chimie après la guerre.
Hélas, cette particularité ne figure pas dans la longue liste de celles qui font de ce pays un endroit unique de notre petite Europe. Rassurez-vous toutefois, la méthode bio y est bien vivante, et pas depuis hier ! Deux petites journées à humer l’air insulaire, c’est court mais plus riche qu’un long séjour touristique pour approcher la vérité du lieu. Il suffit pour cela d’être guidé par les bonnes personnes, en l’occurrence celles qui vivent et travaillent ici, en parfait accord avec leur terroir.
Nous sommes sur le bord oriental de l’île, l’En-Deçà-des-Monts (opposé à l’Au-Dela-des-Monts, la Corse du Sud-Ouest). Cette étroite bande côtière constitue la seule vraie plaine corse, île qui n’est, comme chacun sait, qu’une haute montagne jaillie de la mer.
C’est dans cette plaine d’érosion adossée à la montagne que la culture des agrumes est la plus propice. La mer y atténue la rudesse du climat, la terre est fertile et… plate, caractère décisif pour la viabilité d’une exploitation arboricole. A Bravone, Brigitte Etcheber anime la coopérative Aliméa, notre partenaire de longue date pour la clémentine, le pomelo mais aussi la noisette en coque, ne l’oublions pas. La coopérative est une petite structure simple et efficace. Brigitte en est la coordinatrice, gérant avec sa collègue Marie la commercialisation et l’expédition de la marchandise. En tant qu’ingénieure agronome, elle veille également au suivi et à la qualité de la récolte. Une tâche fournie et intense, toujours accomplie dans une humeur calme et égale. Cette force tranquille s’alimente de l’amour qu’elle porte à cette terre et à ses habitants : on le comprend d’instinct en l’écoutant parler de Pierrot, son voisin chevrier, tout en contemplant la plaine de son perchoir de Santa Lucia. A défaut de racines, c’est le cœur qui l’a faite corse.
Avec elle, nous visitons les vergers de clémentines et de pomelos des différents coopérateurs. Les exploitations sont toutes bien différentes : celle de Jean-Pierre Giansily à Vescovato est maintenant réduite à un petit verger de pomelos, tranquillement cultivé en famille. M. Alonso de Linguizzetta a transmis l’exploitation à sa fille et les projets vont bon train, sang neuf aidant. A la mi-janvier, la récolte de clémentine se termine, celle des pomelos s’annonce. Brigitte n’a de cesse d’encourager chacun à la diversification des cultures. Ne pas tout miser sur un fruit pour mieux s’en sortir face aux aléas climatiques ou autres fléaux parasitaires. Si clémentines, pomelos et kiwi constituent l’essentiel des volumes produits, d’autres agrumes plus spécifiques ne sont pas dénués d’intérêt, comme par exemple le très parfumé lime que nous sommes toujours heureux de présenter sur nos bancs.
Nous voici chez Renaud Dumont, petit-fils de Jean-Robert, un des fondateurs de la coop. La ferme Dumont est une des plus grosses structures de l’organisation, Renaud la dirige aujourd’hui avec une énergie et une passion sans failles. Ses vergers sont traversés, voire recouverts par le fleuve Bravone qui a parfois ses humeurs. Comme dernièrement quand il est brutalement sorti de son lit. La récolte des pomelos s’annonce des plus prometteuses cette année, il suffit de se pencher sous la cloche de la futaie et de lever les yeux vers ce beau toit jaune. Un petit rappel botanique au sujet du fruit : il ne s’agit en aucun cas d’un pamplemousse, qu’on se le dise ! Ce dernier est un fruit tout écorce, peu juteux et surtout destiné à la transformation. Le fruit de bouche dont nous parlons est bien un pomelo, issu de l’hybridation du pamplemoussier et de l’oranger, ce dernier apportant douceur et jus. C’est un fruit qui aime prendre son temps. Ainsi, une fois mûr, en février, il peut sans dépérir attendre d’être cueilli, jusqu’en juin voire juillet, et côtoyer la floraison suivante. A l’heure où paraîtront ces lignes, les premiers seront bien présents sur nos bancs, annonciateurs du printemps.
Pas question de quitter l’île sans avoir rencontré ceux qui nous fournissent nouvellement les délicieuses confitures d’agrumes Castagna di Vallerustie. Les frères Vincensini, qui dirigent l’entreprise avec leur père, sont donc descendus nous rencontrer, depuis leur village perdu au cœur de la Castagniccia, pays du châtaignier. Les deux frères sont intarissables et passionnants quand ils racontent leurs divers métiers, qui vont de la charcuterie – bio, évidemment – à la fabrication de farine de châtaignes, la transformation d’agrumes et la confection de gâteaux et autres canistrellis. Et quand ils parlent de tout autre chose, c’est pareil ! Leur enracinement à cette terre est certainement aussi solide que celui de leur arbre emblématique. Ils gardent cependant un œil largement ouvert sur le monde. C’est pour cela que leur père les a envoyés plus jeunes faire des études sur le continent. Pour y enrichir leur corsitude et finalement revenir à San Lorenzu prendre la suite, avec une vision élargie.
Leurs confitures d’orange, de clémentine, de cédrat et d’orange amère en disent beaucoup plus, voyagez avec elles ! Et pour en apprendre davantage, n’hésitez pas à consulter le très riche site d’Aliméa.
Alain Poulet