La spiruline artisanale de l’Eau Claire

La spiruline est connue chez nous comme complément alimentaire. En poudre ou en comprimé, elle est réputée pour ses apports en fer, vitamines et antioxydants. Côté goût et provenance, pas grand-chose de joli à signaler. Pourtant, la spiruline est bien plus que cela : c’est un aliment à part entière qui, produit localement, apporte une solution pour l’avenir de notre alimentation. Pourquoi, comment ? Pour le savoir, nous avons rendu visite à Laurence et Jean-Marc Auclair, producteurs de spiruline à Coise, en Savoie (73).

Végétale et aquatique

Deux passionnés qui nous invitent à débuter la visite en observant à travers un microscope l’Arthrospira platensis… Ce que l’on voit : des filaments en forme de spirales, mignons comme tout !

La spiruline fait partie des cyanobactéries ou des cyanophycées (cyan = bleu). Ce ne sont donc pas des algues (les algues sont des plantes) mais bien des micro-organismes, qui font partie intégrante du monde des phytoplanctons. Une spiruline est une colonie de cellules identiques. Sa forme est inchangée depuis son apparition, il y a 3,5 milliards d’années. Elle date des origines de la vie sur Terre, lorsque l’oxygène a commencé à s’y développer, grâce en partie à la spiruline et ses cousines.

La spiruline se reproduit par division cellulaire. Pour cela, elle a besoin de chaleur et de lumière. Comme les plantes vertes, elle réalise la photosynthèse en captant l’énergie solaire grâce à la chlorophylle ; comme le phytoplancton, elle flotte en suspension dans l’eau.

Historiquement, la spiruline se développe naturellement dans les zones tropicales proches de l’Équateur. Certains peuples, comme les Aztèques, en ont toujours consommé. La souche cultivée à la ferme de La Spiruline de l’Eau Claire est identique à celle du Lac Tchad, qui en est naturellement pourvu. Les populations locales en consomment depuis toujours. Leur excellente santé intéresse les chercheurs occidentaux depuis les années 1960.

La spiruline industrielle

La majorité de la spiruline disponible dans le commerce est produite à l’échelle industrielle. En Chine, en Inde, en Californie ou à Hawaï, on la cultive dans d’immenses bassins à ciel ouvert. Sans la protection de serres dans ces zones parfois très polluées, la spiruline va avoir tendance à absorber les polluants et autres métaux lourds…

Pour la récolter, les industriels utilisent la technique du spray-drying. Elle consiste à pomper l’eau des bassins contenant la spiruline, puis à la pulvériser sur des plaques à haute température. Ce procédé brise les brins de spiruline et ne permet pas d’obtenir autre chose que de la poudre. D’où la commercialisation de spiruline industrielle quasi exclusivement en poudre, comprimés ou gélules.
Vocation

C’est en 1997, se tournant vers la spiruline pour ses apports en fer durant sa première grossesse, que Laurence commence à s’y intéresser. Si elle la trouve beaucoup plus assimilable que le fer de synthèse, elle juge son goût déplaisant. Or ce n’est pas une fatalité, comme elle le découvre en rendant visite à un producteur savoyard de spiruline, l’Étoile Verte, qui lui fait découvrir le métier. Aujourd’hui, Laurence et Jean-Marc sont double-actifs, ou coactifs : infirmière-spirulinière et électricien-spirulinier !

Comment devient-on producteur de spiruline ? Jean-Marc a fait le choix d’une formation avec la Fédération des Spiruliniers de France. Elle propose un parcours complet avec l’avantage de l’entraide et du partage des savoirs. Il est également possible de passer par un Brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole option pisciculture et spécialisation spiruline, reconnu par le ministère de l’Agriculture.

La spiruline locale

Au regard des enjeux de demain, à commencer par l’autonomie alimentaire des territoires pour la production de protéines, la spiruline est une alliée de choix : sa richesse en protéines est exceptionnelle. Comme la viande, elle contient tous les acides aminés essentiels. Ses protéines sont plus digestes que celles des végétaux, car elle n’a pas de peau. Comme on ne la cuit pas, elle est immédiatement disponible. La production peut atteindre 1 kg de protéines par mètre carré et par an. À ce titre, la spiruline est beaucoup plus performante que l’élevage, avec peu de surface nécessaire, peu d’eau et peu d’énergie.

La littérature est riche d’exemples sur les bienfaits de la spiruline : grâce à sa richesse en protéines et en vitamines du groupe B, elle favorise la croissance et la récupération.

En Savoie, il existe à ce jour quatre producteurs de spiruline. On peut donc en produire dans des zones montagneuses, aux antipodes des climats tropicaux ? Oui, à condition de reproduire le milieu naturel de la spiruline. Ce qui peut se faire de manière très écologique, comme nous allons le voir !

Une culture paysanne

De l’eau potable, de l’électricité et un terrain ultraplat : ce sont les indispensables pour se lancer dans la production de spiruline. Mieux vaut également être un brin bricoleur !

À la Ferme de Spiruline de l’Eau Claire, nous pénétrons dans un écrin de verdure, loin de la route, au cœur d’une production de légumes bio. La spiruline flotte tranquillement à la surface des bassins d’eau douce. Chauffée naturellement par le soleil, la serre permet de produire d’avril à octobre. La température de l’eau doit être entre 20 et 37 °C. En Savoie, on évite la surchauffe en été : parfait !

La principale différence entre bio et conventionnel se situe dans la manière de nourrir la spiruline. Celle-ci doit baigner dans une eau douce légèrement salée et très minéralisée. En agriculture biologique, aucun pesticide n’est utilisé. En conventionnel, les spiruliniers et spirulinières utilisent de l’azote de synthèse ; en bio, l’apport d’azote est d’origine végétale (actuellement provenant de canne à sucre ou de soja). La Fédération recherche à l’heure actuelle une source d’azote végétale et locale qui soit écologiquement satisfaisante.

Une spiruline artisanale

Laurence et Jean-Marc ont souhaité aller un cran plus loin que le cahier des charges de l’agriculture biologique en utilisant le moins d’eau et d’énergie possible. Il a fallu tout construire ! Leurs outils, faits maison pour la plupart, sont manuels ou mécaniques, comme les roues à aubes qui brassent l’eau de manière régulière.

La spiruline ayant tendance à flotter comme la crème du lait, il est nécessaire de la brasser régulièrement afin que chaque brin voie la lumière. Des filets d’ombrage régulent l’ensoleillement de manière à ralentir la production et augmenter les qualités de la spiruline, qui va ainsi davantage produire de ses précieux pigments.

Les pigments de la spiruline sont antioxydants. Il s’agit de la chlorophylle (vert), du bêtacarotène (orange) et de la phycocyanine (bleu). Cette dernière est la plus recherchée, car la médecine lui attribue une action anti-radicalaire, anti-inflammatoire et anti-vieillissement. On étudie même à l’heure actuelle ses propriétés antivirales.

Savoir-faire et expérience

Élever de la spiruline demande de la présence et de l’attention : vérifier la température et le pH de l’eau, son aspect et celui de la spiruline, estimer le bon moment pour récolter, etc. En été, la récolte a lieu une à deux fois par semaine. On pompe le dessus du bassin, puis on le verse sur un filtre qui retient la spiruline et renvoie l’eau vers le bassin. Plusieurs filtrages permettent d’écarter les éléments indésirables. On obtient une pâte à la consistance d’un yaourt.

Cette pâte est ensuite pressée. Ici, le pressage est on ne peut plus doux et artisanal, avec l’utilisation d’un poids et de simples linges. Il permet d’enlever un maximum d’eau sans briser les brins de spiruline et d’obtenir une consistance de pâte à modeler verte. La spiruline peut être consommée à ce stade : c’est la spiruline fraîche. On la passe ensuite dans un poussoir qui fait ressortir de fins spaghettis, étalés sur des claies. On les sèche dans une pièce ventilée à température ambiante contrôlée (moins de 42 °C) pendant une douzaine d’heures. Les spaghettis sont cassés à la main pour obtenir la forme artisanale définitive : les brindilles ou paillettes de spiruline.

Ce procédé hautement respectueux garantit la « qualité crue » de la spiruline et donc sa richesse en vitamines, enzymes et antioxydants. Il est spécifique aux méthodes artisanales. Grâce à lui, elle conserve une saveur très douce et ne développe pas le goût prononcé de la spiruline industrielle.

Aliment

Il serait bien dommage de cantonner la spiruline dans son rôle de complément alimentaire. Jean-Marc et Laurence sont des agriculteurs, pas des laborantins. Ils récoltent, sèchent. Leur spiruline n’est pas un produit transformé mais bien un aliment, simple et fonctionnel.

Pour être honnête, l’autrice de ces lignes avait un gros a priori sur la spiruline (« c’est vraiment pas bon »). Croquer dans une dentelle de spiruline fraîchement séchée l’a totalement fait changer d’avis : fin, croustillant, doux, c’est un régal ! Jean-Marc et Laurence adorent l’apporter chez des amis à l’heure de l’apéro. On les comprend. C’est tellement meilleur que les chips !

Combien en consommer ? 3 à 5 g – soit 1 c. à café de brindilles – par jour est un bon minimum. On peut aller au-delà, en évitant d’en consommer le soir, car la spiruline est énergisante.

Comment s’en régaler ? On parsème les brindilles de spiruline sur des tartines, dans les houmous, les guacamoles, les salades… On laisse fondre les paillettes dans une huile pour préparer mayonnaises et autres vinaigrettes toutes vertes. Comme la spiruline s’accommode aussi bien en salé qu’en sucré, on n’hésite pas à en ajouter sur le bol du petit-déjeuner, dans les smoothies, les glaces ou… les truffes au chocolat !

Attention : la cuisson nuit à sa teneur en antioxydants, vitamines et minéraux (comme pour les légumes !). Ajoutez toujours la spiruline au dernier moment dans vos aliments froids ou chauds, pour apprécier son croustillant et profiter de ses bienfaits.

La spiruline de l’Eau Claire est disponible dans nos magasins de la région Rhône-Alpes-Auvergne. Dans les autres Satoriz, découvrez d’autres spirulines bio, locales et artisanales tout aussi qualitatives.

CC