« SALDAC » signifie Solidarité Avec l’Amérique Latine pour le Développement Autonome des Communautés. Bam : le nom annonce la couleur, le chocolat aussi. On n’est pas là pour faire les choses à moitié !
Au Pérou, du café au cacao
Un petit hangar dans la Drôme, au Sud de Montélimar : c’est là que nous faisons connaissance de Kolia et Lisette. Mari et femme se sont rencontrés lors d’un voyage de Kolia au Pérou, d’où Lisette est originaire. Kolia et le Pérou, c’est une histoire qui remonte à la fin des années 1990, pour une thèse en géopolitique qui l’amène à rencontrer de petits producteurs de café. Afin de les aider, il se retrouve à commercialiser leur production. Pas commerçant dans l’âme, Kolia monte une association, Saldac, dont les membres s’engagent à revendre en France le café bio et équitable des producteurs péruviens.
Vendre leur café, ces producteurs en avaient bien besoin ! Leur coopérative voit le jour en 1978, dans le cadre de la réforme agraire entreprise par l’État péruvien. De 1985 à 1995, elle souffre du terrorisme qui frappe les zones rurales. Une partie de son local est réquisitionnée par le Sentier Lumineux, la plupart des producteurs quittent la région. À partir de 1997, avec l’éradication du terrorisme, la coopérative se réorganise peu à peu et noue des contacts en direct avec des acheteurs, pour ne pas dépendre des intermédiaires locaux. Aujourd’hui encore, l’instabilité des cours des matières premières amène certains agriculteurs à planter de la coca, parfois plus rentable que le cacao ou le café, ce qui entraîne de sérieux problèmes d’insécurité locale. D’où l’intérêt de participer à une démarche de commerce équitable, qui garantit des prix d’achat stables, nettement supérieurs aux coûts de production.
Pour mieux vendre ce café, Saldac devient une entreprise en 2002 et commence à démarcher les magasins bio français. Ces derniers acceptent de vendre le café, mais réclament aussi du chocolat (tiens donc) ! Kolia et Lisette repartent au Pérou et reviennent avec des fèves de cacao Criollo, l’une des meilleures origines au monde. Ils exigent dès le début un cacao de la meilleure qualité possible, et l’achètent à un prix bien supérieur au cours mondial.
Située à l’entrée de la grande plaine amazonienne du Pérou, Pangoa est une région de production de variétés natives de cacao, et notamment la plus ancienne, dont le Pérou est le berceau : la fève Criollo. Très riche en beurre de cacao, elle est particulièrement aromatique. Elle est malheureusement concurrencée par des variétés hybrides plus productives. La coopérative Pangoa est l’une des dernières à posséder des variétés anciennes de Criollo et à n’avoir jamais planté de variétés hybrides. Avant l’arrivée de Saldac, les producteurs de Pangoa revendent leurs fèves à une coopérative plus importante, au cours mondial, très peu avantageux. Leur intérêt à rentrer dans une démarche de commerce équitable, en respectant une charte de qualité, est donc bien motivé. La majorité des parcelles sont désormais certifiées bio. Saldac se rend sur place chaque année depuis vingt ans : ses fournisseurs sont comme une grande famille
Les produits Saldac sont certifiés « Producteurs paysans en commerce équitable » (SPP). Ce label appartient aux producteurs et aux coopératives, qui en définissent eux-mêmes les normes. Il permet de bien les rémunérer et inclut une démarche très poussée en termes de biodiversité, dans une logique de souveraineté alimentaire.
Les fèves de cacao
Les cacaoyers produisent toute l’année, mais les arômes sont plus présents dans les fèves entre mai et juillet. Les cabosses sont grosses et contiennent 30 à 50 fèves de cacao. Il faut les récolter mûres et les couper en deux pour en retirer toute la matière : le cacao “bave” comme on dit localement, car les fèves sont encore entourées de pulpe blanche. Les fèves sont placées dans des bacs en bois pour commencer le processus de fermentation. Une fermentation adéquate facilite le bon développement des arômes : celle-ci est gérée au local de la coopérative. Selon le climat, 4 à 6 jours seront nécessaires. Tous les jours, le cacao change de bac. Il est ainsi bien mélangé, pour une fermentation uniforme des fèves. Elles sont ensuite étalées au soleil pendant quelques jours pour obtenir un séchage adéquat, sur des dalles en ciment ou sur des tamis en bois. Une fois sèches, elles sont stockées dans des sacs en toile de jute, puis exportées.
Le chocolat El Inti
Lorsque ces fèves sont arrivées à bon port, encore faut-il les transformer ! Et là, Kolia et Lisette ont de la chance : juste à côté de chez eux, à Donzère, se trouve la chocolaterie Morin. Cette entreprise familiale cachée au milieu d’un champ d’amandiers – juste à droite après la rangée de cyprès – fabrique du chocolat artisanal depuis plusieurs générations. Surtout, elle possède un savoir-faire très peu répandu en France : fabriquer du « chocolat févier », c’est-à-dire à partir de fèves de cacao.
L’écrasante majorité des chocolatiers travaille une masse de cacao que d’autres ont élaborée pour eux. Industriels et artisans confondus, une quinzaine de chocolatiers français seulement savent se confronter aux étapes qui précèdent, à savoir le travail direct sur les fèves : torréfaction, concassage, broyage, conchage, affinage… Morin est de ceux-là !
Les fèves sont d’abord torréfiées, lentement et par petites quantités. L’étape est cruciale, car une bonne torréfaction facilite la libération d’un maximum d’arômes. Il faut goûter en permanence pour ne pas la rater ! Les fèves torréfiées sont ensuite cassées, et la peau est mise de côté. On ajoute alors le sucre de canne complet, bio et équitable, lui aussi péruvien (et aussi le lait en poudre pour le chocolat au lait). Pas de vanille, ni de lécithine, pour ne pas dénaturer le goût originel de la fève Criollo. On mixe le tout dans un petit broyeur, puis la pâte passe dans une grosse presse qui comporte plusieurs rouleaux, afin d’obtenir une matière très fine. Le tout entre alors dans la conche, qui va pétrir cette masse pendant quinze à vingt heures à une température d’environ 50 °C, pour que la pâte passe du stade solide à l’état liquide. Pendant cette étape cruciale, les arômes se révèlent et le chocolat obtient son fondant et sa délicatesse. Il est ensuite moulé, puis lentement refroidi, vérifié et emballé.
Morin utilise des machines acquises par le grand-père dans les années 1930. Elles demandent beaucoup de soin mais permettent de mieux s’adapter à la matière. Dans cette chocolaterie, une grosse partie du travail est manuelle et toutes les étapes nécessitent les cinq sens !
Certaines tablettes sont des chocolats crus, c’est-à-dire obtenus avec des fèves non torréfiées. Toutes les étapes de la fabrication sont faites à basse température, en dessous de 42 °C. Ce procédé de fabrication permet de conserver davantage les vitamines et minéraux dans le produit fini, et d’allier plaisir et santé.
Dégustation
La fève Criollo a des saveurs très caractéristiques, qui tendent vers l’agrume lorsqu’elle est torréfiée, et vers la banane lorsqu’elle est crue. L’utilisation de sucre de canne complet complexifie encore ces arômes.
Le beurre de cacao Saldac est pur origine Criollo. Il est fabriqué à partir des fèves de la coopérative Pangoa par une petite chocolaterie péruvienne (ou par la chocolaterie Morin). Il n’est pas désodorisé et conserve ainsi les arômes de la fève. Les fèves crues sont également disponibles chez Satoriz, entières ou en éclats (aussi appelés « nibs » ou « grué » de cacao).
Le goût du chocolat cru est très différent de celui du chocolat torréfié, avec les arômes caractéristiques de la fève crue, plus fruitée que cacaotée. La texture est également spécifique,, onctueuse, souple, et très longue en bouche. Un véritable voyage dans la forêt tropicale du Pérou !
CC