Satoriz et la moutarderie

Serions-nous accro à la moutarde ? Lorsqu’en 2022 elle vint à manquer dans les rayons des hypermarchés, les clients de ces deniers nous ont rapidement fait l’honneur d’une visite de courtoisie. Que serions-nous sans elle ? En Asie, en Espagne, en Italie… Certaines cuisines fonctionnent très bien sans. Pas celle des Français, qui en consomment énormément. Est-ce un hasard ? Partout dans le monde, la légendaire « moutarde de Dijon » constitue LA référence.

Or la moutarde de Dijon n’est pas obligatoirement fabriquée à Dijon. C’est même très rarement le cas. Pour bénéficier du titre, le fabricant doit simplement mettre en œuvre un procédé et une recette définis. Satoriz a rendu visite à la SDMR, installée au pied du massif de la Chartreuse, près de Grenoble. Elle produit et conditionne moutardes, sauces froides et mayonnaises bios à la marque « La cuisine d’autrefois ». Nous voilà désormais incollables sur leur fabrication !

Pourquoi « moutarde de Dijon » ?

En France, on produit traditionnellement de la moutarde là où l’on cultive des vignes, car le vinaigre est nécessaire à sa fabrication. La Bourgogne est donc une région traditionnelle de production. La recette aurait été formalisée à Dijon en 1752. Quant au mot moutarde, il viendrait de mustum ardens : les Romains délayaient la graine broyée dans le « moût » de raisin, et obtenaient ainsi un condiment « ardent ».

Méthode ancestrale

Comment fabrique-t-on la moutarde de Dijon ?

On obtient de la moutarde de Dijon en mettant en œuvre une recette précise et codifiée, avec certaines graines bien choisies : la Brassica Juncea et/ou la Brassica negra. On commence par faire tremper les graines dans le verjus, qui est un mélange d’eau, de vinaigre et de sel. Les graines macèrent ainsi 8 heures. Une fois imbibées, on les broie. Puis une tamiseuse permet de séparer l’enveloppe – qui est marron et qu’on appelle également « son » – de l’amande, la matière de la moutarde, à l’origine de la couleur jaune. Il reste alors à aérer la moutarde pendant 6 heures, afin qu’elle perde de la force, puis à la laisser reposer. La moutarde qui vient d’être fabriquée est très forte, trop. Pour qu’elle soit acceptable, il faut la laisser maturer au moins deux mois.

Et la moutarde à l’ancienne ?

C’est une autre recette, également codifiée. Elle est avant tout le résultat d’un autre procédé d’écrasage : on ne broie pas les graines, on les aplatit en les ciselant légèrement. Les graines restent entourées de leur enveloppe, et l’amande n’apparaît que partiellement. Il n’y a donc pas de tamisage pour retirer le son, dont la présence atténue le piquant. La moutarde à l’ancienne « La cuisine d’autrefois » est préparée avec du vinaigre de cidre et non pas du vinaigre d’alcool (plus courant), car c’est la méthode la plus traditionnelle. Le vinaigre de cidre est aujourd’hui peu utilisé car cinq fois plus cher que celui d’alcool. Il est aussi moins acide et permet d’obtenir une moutarde plus fine en bouche et plus goûteuse.

Et la moutarde douce ?

On l’obtient en mélangeant les graines brunes avec une autre graine, la Sinapis alba, une graine blanche moins piquante. Cette moutarde est composée de 8 épices et principalement de curcuma, connu pour ses vertus préventives et curatives.

L’engagement bio de la SDMR

La SDMR, Société de distribution Marcel Recorbet, est spécialiste de la moutarde depuis 1982. Marcel Recorbet commence par en distribuer, puis la fabrique en petites quantités. En 1991, il se met au bio, qui constitue pour lui une nécessité ! Aujourd’hui, l’entreprise emploie 25 personnes et fabrique moutardes, sauces froides et mayonnaises.

Peu d’entreprises fabriquent de la moutarde en France, la plupart appartiennent à des multinationales. La SDMR appartient au groupe familial Charbonneaux-Brabant, spécialiste des vinaigres et moutardes.
D’où viennent les graines de moutarde ?

En conventionnel comme en bio, on est obligé d’avoir recours à l’importation : du Canada, majoritairement. La culture des graines de moutarde est pourtant assez facile, car c’est un engrais vert qui permet d’enrichir le sol après la culture de céréales. Mais son rendement est largement moindre ! Elle donne difficilement une tonne à l’hectare. Pour cultiver à la hauteur de la demande, il faut de très grandes surfaces, difficiles à trouver en France. La filière française s’organise doucement. Les volumes restent encore confidentiels.

Faire prendre la mayonnaise

La mayonnaise à la maison, on connait : avec la même recette et les mêmes ingrédients, y a des jours où ça marche, des jours où ça loupe ! Normal, car la mayonnaise résulte d’une émulsion, c’est-à-dire l’assemblage de molécules entre elles. De la chimie et peut-être un peu de chance aussi… Dans l’industrie, on utilise volontiers des adjuvants, conservateurs, arômes et colorants pour obtenir le résultat désiré. Pas de ça en bio !

La recette de mayonnaise « La cuisine d’autrefois » a été particulièrement complexe à élaborer. Il a notamment fallu investir dans un énorme émulsionneur capable d’en produire 500 kg d’un coup ! Et ça marche : la mayonnaise obtenue est onctueuse, avec un goût légèrement vinaigré et acidulé.

Merci à Marcel Recorbet pour sa persévérance et à la petite équipe qui s’affaire chaque jour pour nous permettre de déguster une très bonne mayonnaise bio sans avoir à implorer les dieux de l’émulsion…