L’huile d’argan – Entretien : Claude Walterspiler

argan7En guise d’introduction, lire notre reportage sur l’huile d’argan

Zit Sidi Yassine produit l’huile, Claude l’importe. Importer, simple formalité ? Pas vraiment, non. Claude s’implique dans tous ses projets et soutient le bio depuis toujours. Un connaisseur, et un acteur.

Moteur !

Tiens, on s’est déjà vus ! Rappelle-nous ton métier, Claude ?
Importateur de bonnes choses… Des produits bio de belle qualité, issus de beaux terroirs et faits de belle façon, avec un souci éthique particulier… Il s’agit principalement du sirop d’érable de la ferme Vifranc et de l’huile d’argan Zit Sidi Yassine.

Tu as été un des premiers en France à t’intéresser à l’huile d’argan. Quand et comment l’as-tu rencontrée ?
Le hasard de la vie… Alors que j’étais en vacances au Maroc il y a bien dix ans, j’ai rencontré un Français qui avait un café littéraire à Essaouira. En guise d’apéritif, il proposait à ses clients de tremper du pain marocain dans de l’huile d’argan… Une huile dont j’avais entendu parler, mais que je n’avais jamais goûtée. Et j’ai été subjugué ! J’ai commencé par l’importer pour le compte de laboratoires cosmétiques, avant de la diffuser par moi-même. Puis elle est devenue à la mode, et on a alors commencé à trouver à peu près n’importe quoi sur le marché. J’ai alors cherché à développer des notions de bio et de qualité qui n’étaient pas présentes à l’époque.

argan8Trouve-t-on des traces de cette huile dans les écrits ? A-t-elle sa place dans l’histoire ?
De manière discrète. Pour comprendre, il faut remettre l’huile d’argan dans son berceau, le Sud-ouest marocain ; elle ne concerne qu’une toute petite région, et donc pas l’Afrique de manière générale. Les Berbères l’avaient totalement intégrée à leur mode de vie : de la coque à l’amande sans oublier la pulpe, il n’y avait pas de déchet autour de l’argan. Les branches de l’arbre permettaient de délimiter les parcelles en servant de haies, la coque servait de combustible pour le hammam et la pulpe, comme le tourteau, étaient données aux animaux. Mais c’était un produit qui n’était utilisé que localement. En fait, on ne connaît vraiment l’huile d’argan que depuis les années 1300, un médecin arabe l’ayant décrite, ainsi que ses bienfaits. Sa véritable reconnaissance en Europe ne date que de 1995.

L’huile d’argan est un produit ancien, issu d’une culture séculaire. Y a-t-il un mythe autour d’elle, des légendes ?
Oui, mais avec des arguments qui ne la servent pas toujours, car trop éloignés de la réalité : de l’aphrodisiaque à la cure de jouvence… C’est vendeur pour ceux qui l’exploitent, mais cela peut occulter ses véritables qualités, qui sont bien réelles et scientifiquement prouvées. C’est aussi notre rôle de faire la part des choses et de repositionner la vérité de l’huile d’argan par l’information, les appellations, les certifications et bien sûr la qualité.

argan9Allons-y ! On commence par la qualité ?
On pourrait dire les qualités… Parlons en premier lieu de l’huile telle qu’elle est extraite traditionnellement. On lui donne le terme de  » beldi « , un mot du vocabulaire berbère qui signifie à la fois  » naturel  » et  » traditionnel « . Il s’agit d’une extraction à l’eau, effectuée à l’aide d’un tout petit moulin en pierre. Elle est adaptée à une consommation immédiate. Mais cette huile traditionnelle se conserve mal et peut fermenter ou s’oxyder au fil des mois, amenant ainsi des arômes déplaisants. L’autre manière de l’extraire est plus moderne, elle fait appel à une presse. Cette technique permet de garder intacts tous ces principes vitaux pendants plusieurs années. Cette différence d’extraction, fondamentale, n’est pas indiquée sur l’étiquette. Autre critère qui peut faire varier la qualité : l’huile peut malheureusement être extraite à chaud, ou être désodorisée… Autant d’opérations qui trompent le client. L’université de Rabat travaille activement pour instaurer un cadre légal qui clarifierait tout cela.

argan11On a aussi entendu parler d’huile « de chèvre »…
Cela fait sourire certains, mais moins quand ils en ont acheté une bouteille… Voilà de quoi il en retourne : la chèvre ingère les fruits de l’arganier pour sa pulpe, mais ne peut digérer la coque et l’amandon, qu’elle élimine dans ses crottes. On ramasse alors les fruits qui ont transité par la chèvre, et l’on casse la coque pour récupérer l’amandon. Celui-ci est fortement imbibé des sucs digestifs de l’animal et amène un arôme qu’on qualifiera gentiment de musqué… L’huile qui en résulte est plus que désagréable, a fortiori en cosmétique… On parle alors d’une huile de divorce ! Il faut être vigilant sur les coques que l’on utilise, 2 % d’amandons ayant transité par la chèvre suffisant à  » parfumer  » le produit… Cette pratique est bannie chez Zit Sidi Yassine.

On a un arbre qui pousse tout seul, dont les fruits se ramassent au sol, qui ne nécessite ni engrais ni pesticides… En quoi une huile d’argan bio se justifie-telle ?
On utilise fréquemment les surfaces de l’arganeraie pour semer de l’orge ou du blé au pied des arbres. Ces plantations, elles, font souvent appel à des substances de synthèse que l’on peut retrouver dans le fruit. En bio, la récolte du fruit de l’arganier n’est pas compatible avec une culture intensive proche.

Le cahier des charges bio retient-il d’autres critères que la conformité des fruits ?
Il n’est hélas pas suffisant ; la certification européenne mérite d’être complétée pour garantir qu’aucune huile de  » chèvre  » ne peut être utilisée, pas plus que la désodorisation à la vapeur… C’est tout le sens de notre travail que d’aller le plus loin possible dans la recherche de qualité, bien au-delà des contraintes officielles. On avance d’ailleurs vers l’idée d’un genre d’Appellation d’Origine Contrôlée, qui serait bienvenue.

argan14L’huile d’argan est chère, mais son prix plus que justifié vu le travail que nécessite son élaboration. Ce prix n’incite-t-il pas certains négociants malhonnêtes à la couper, comme on l’entend dire parfois ?
L’équivalent marocain de notre répression des fraudes veille à ce que cela n’arrive pas, et toutes les huiles exportées, déclarées officiellement, sont 100 % huile d’argan, analyse à l’appui. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas sur place, au Maroc. Elle peut être coupée à l’huile d’arachide, ou trafiquée à partir du tourteau d’argan chauffé…

Comment décrirais-tu le goût de la véritable huile d’argan ?
En France, on le rapproche volontiers du goût de noisette, noisette grillée. Mais elle a en fait le goût… d’argan. C’est une huile gastronomique, gourmande, qui est plus utilisée comme un condiment qu’une huile de cuisine. L’arôme d’argan s’installe de manière notable sur un produit chaud, du fait de la vapeur qu’il dégage. Sur une poêlée de légumes, un poisson grillé, on sent très bien ce petit plus. Mais une simple pomme de terre ou une tomate permettent de la valoriser. Comme la truffe, comme tous les grands produits, on peut dire qu’elle ne supporte pas les choses trop complexes.

Comment donnerais-tu envie d’en consommer ?
Je dirais que c’est une huile qui est bonne pour le cœur… Au niveau cardiovasculaire bien entendu, mais de manière plus globale aussi : d’abord parce qu’on parle d’une forêt qui existait il y a trente millions d’années et qui ne subsiste qu’en un seul endroit au monde, au Maroc. L’huile qu’on tire du fruit est un petit trésor qui nous vient du passé et les populations berbères qui l’utilisent depuis 2000 ans ont toujours su l’adapter à leur alimentation ou à leur pharmacie. Mais le côté  » bon pour le cœur  » s’applique aussi au côté humain : cette huile permet de restaurer un habitat rural qui est en train de se déliter, de retisser l’identité culturelle très forte qui gravite autour de cette huile et qui est en train de disparaître.

argan15Il existe un système coopératif autour de l’huile d’argan. Peux-tu nous en dire deux mots ?
On le doit à Madame Charrouf, qui est une scientifique à la base. Elle a étudié l’huile, puis mis au point l’extraction par la presse, favorable à la conservation et donc au commerce de l’huile d’argan. Mais elle n’en est pas restée là, et a aussi œuvré pour développer des coopératives de femmes, autogérées. Elle s’est occupée de revaloriser leur salaire, ce qui n’est pas évident au Maroc. Par ces actes, elle s’est aussi fait détester, peutêtre parce qu’elle est une femme…

L’huile que tu proposes provient-elle de ces coopératives ?
Ce fut le cas dans un premier temps. Nous travaillons toujours avec des coopératives, mais pour le concassage uniquement. C’est aujourd’hui la société Zit Sidi Yassine qui assure le pressage, ce qui nous permet de disposer de quantités qu’une coopérative ne pourrait pas nous fournir.

Le travail de décorticage sur le fruit est très exigeant et long. Peut-on imaginer qu’on ira un jour vers la mécanisation ?
Cette mécanisation fait très peur au Maroc, car elle priverait les femmes du Sud marocain d’un travail important. Le procédé existe déjà, mais ce qu’il en sort pour l’instant n’est heureusement pas joli… Les amandons sont cassés, écrasés et finissent par s’oxyder. Cela se retrouve dans l’huile, au niveau du taux d’acidité, mais également de notes gustatives désagréables.

Quel est l’avenir de l’huile d’argan, sachant que le nombre d’arbres est de fait limité ?
L’arganier exige un climat maritime, sur un sol semi-aride. Il ne sortira donc probablement pas de cette région. Toutes les tentatives de plantation qui ont été faites ailleurs qu’au Maroc, en Turquie ou en Israel n’ont pas donné de bons résultats. Les essais entrepris dans l’arrière-pays marocains n’ont pas été plus satisfaisants. Raison de plus pour laisser l’arganier dans son bassin et pour prendre grand soin de la forêt, qui est aussi menacée par l’extension de l’agriculture intensive sur la région. Cette forêt est d’autant plus utile qu’elle est une barrière contre la progression de la désertification qui menace les terres arables. L’UNESCO se préoccupe activement de cela.

argan10Au bout du compte, qui consomme de l’huile d’argan ?
La population locale, un peu. Les touristes, pas mal, ce qui amène d’ailleurs quelques problèmes, certaines personnes essayant de profiter de  l’aubaine en créant de fausses coopératives au bord des routes, qui trompent le chaland ; à l’exportation, l’huile d’argan est très recherchée, aux États-Unis, au Canada, au Japon, en Corée… Ce sont soit des gourmets qui l’achètent, soit des personnes qui sont à la recherche de ses effets bénéfiques, soit des laboratoires, de plus en plus, qui l’intègrent à leurs produits cosmétiques.

On entend autant parler d’huile « d’argan » que d’huile « d’argane »… Qu’en est-il ?
Les deux sont acceptés. La langue berbère désignant les arbres par le féminin, l’arganier est ici un mot féminin, contrairement aux langues européennes où l’arbre est plutôt masculin. Le travail sur le fruit est lui aussi spécifiquement féminin : la cueillette, la transformation et même l’utilisation de l’huile passent par les femmes. Personnellement, j’aurais une préférence pour le féminin, parce que je trouve cette symbolique féminine forte : l’avenir du Maroc, c’est la femme, qui a beaucoup à apprendre à l’homme marocain. Et le mot  » argane  » est très joli ! Mais j’ai mis  » argan  » sur la bouteille, pour aller dans le sens de l’usage commun chez nous… Peut-être devrais-je changer !

Si tu avais à retenir, un disque, un livre, un tableau ?
– Le disque serait de la musique cubaine, que je trouve magnifique dans son ensemble.
– Le livre :  » Le chaos sensible « , de Théodore Schwenk. Un travail sur les différentes formes d’eau, sur le bois. Sur la dynamisation. À regarder, à feuilleter, à lire.
– Je choisirais un tableau d’un peintre d’Essaouira, Berrhis.

JM