Pour vous être mouillé jusqu’au coude en tentant de déguster proprement ses quartiers dorés, vous avez peut-être été empêché de goûter le melon à sa juste valeur… N’est-il pas dommage de s’arrêter à si peu et d’en oublier son glorieux passé de mets princier ? Il fut une époque où ce mêlopepôn sorti de la terre grecque, ce cantalupe romain et papal, était réservé aux grands de ce monde, les jours de fêtes seulement.
Depuis, profusion moderne aidant, il est devenu simple « membre » de la famille éclatée des cucurbitacées et porte le nom botanique et poétique de cucumis melo. Mais rassurez-vous, « abondance de bien ne nuit pas »… à sa qualité. C’est ce que nous sommes allés constater tout autour de sa mecque cavaillonnaise, à Mouries, Fourques ou Bellegarde, lieux où l’on sait le faire pousser et en parler avec amour.
Le melon est un fruit clivant : il y a ceux qui adorent et ceux qui fuient dès l’odeur perçue. Comme le concombre son cousin, il avance masqué. Une pâlotte écorce de cucurbitacée, invitant plus à s’alimenter qu’à se régaler, mais, dès le premier coup de lame une pulpe fondante et sucrée jusqu’à plus soif, loin, très loin de la courge imaginée. Et justement, ce qui pourrait lui arriver de pire, c’est d’être confondu avec cette parente, fruit méritant certes, mais automnal.
Pour lui éviter ça, nos amis maraîchers font de nombreux choix, n’écartant pas les risques divers comme celui, fatal, de ne récolter ni l’une, ni l’autre. Il leur faut tout d’abord sélectionner les espèces les mieux adaptées, celles qui trouveront, à l’endroit où elles seront plantées, tout ce qu’il faut pour donner des fruits aux saveurs délicates. Et faire de cette qualité gustative le critère premier, quitte à délaisser des variétés que les agronomes ont rendues plus résistantes à l’ennemi juré du melon, le puceron Aphis Gossypii, dévastateur de plus d’une melonnière. Pour éviter cette sale bête, reste l’observation et le savoir-faire du maraîcher, en particulier sa collaboration avec tous les petits insectes auxiliaires, syrphes, chrysopes et larves de coccinelles entre autres. Le risque est donc bien présent mais la perspective de la qualité aussi.
Notre cantaloup ainsi bien né va poursuivre sa croissance sous la serre ou en plein champ. Chacun comprendra l’intérêt de la culture couverte qui permet de disposer de fruits dès la fin de mai (quand le printemps ne boude pas), le plein champ prenant la suite pour nous amener au mois d’août, et plus tard encore lorsqu’on remonte vers d’autres terroirs. D’où proviennent les meilleurs ? Les avis divergent, mais on dit que les fruits poussés hors tunnel seraient meilleurs… dès qu’on le sait, pour sûr ! Aujourd’hui, les maraîchers arrivent à maîtriser très finement le suivi et le développement des fruits sous serres. Par exemple, leur irrigation précisément dosée, qui permet le développement de la sphère tout en maintenant ce léger stress hydrique qui la fera se concentrer en sucre et en arômes.
Selon le sens commun, tout le mérite du service d’un bon melon reviendrait à celui qui l’a choisi sur l’étal. Pauvres de nous qui ignorons que tout le boulot a été fait bien avant ! Il n’est pas donné à tout le monde de parcourir les bandes d’une melonnière, une canne à la main, pour découvrir les fruits et choisir. Car c’est bien là que ça se passe, au travers du regard aiguisé du cueilleur. Chacun a sa technique, une des plus fines consistant à repérer le jaunissement de la petite feuille née près du pécou, signe annonçant la maturité du fruit. Il faudra alors s’approcher de ce fameux pécou, que des malpolis nomment pédoncule, pour en être sûr. Un melon est prêt quand il se décolle facilement du fruit.
Le relais est maintenant assuré par le grossiste qui va calibrer, emballer et expédier fissa la cueillette du matin. Délai du champ à l’étal : entre 1 et 3 jours. Enfin, vous pourrez prendre le temps pour le déguster ! Juste le temps cependant, car notre melon est dit climactérique, terme barbare difficilement trouvable dans les dictionnaires mais signifiant sa capacité à poursuivre son mûrissement après cueillette. Quel dommage de laisser mollir cette merveille !
Pour conclure, imaginons ce qu’auraient pu en dire deux poètes provençaux bien connus, du genre d’Ugolin et du Papet.
Ugolin : « Té mon Papet, plutôt que de s’escagasser avec des oeillets, pourquoi on essayerait pas le cantaloup dans notre colline ? Y paraît que c’est d’un bon rapport, et ça demande peu d’eau ! »
Le Papet : « Ma pauvre Galine, y faut pas écouter tout ce que racontent les fadas des écoles. Demande plutôt à Philippe Josuan de Mouriés, à Jean-Marc Llorens de Fourques ou à Pierre et David Girard de Bellegarde. Y te diront tous pareil : « Avant de savoir faire un melon couillon, attends-toi à en faire du pas bon (et à perdre pas mal de pognon) » ! ».
Alain Poulet