Devinette : avec quelle plante fabrique-t-on à la fois des piles électriques, une boisson végétale, du béton, du papier et de la poudre protéinée riche en Oméga-3 pour sportifs chevronnés ? Bon, la réponse est quelque peu téléguidée par le titre de cet article. Quoi qu’il en soit, très peu de végétaux ont un spectre d’utilisation aussi large que le chanvre, plante oléagineuse aux fibres extrêmement résistantes et désormais valorisée en totalité par les industries du bâti, du textile, du papier, et bien sûr de l’agro-alimentaire, celle qui nous concerne aujourd’hui.
Si le Canada est le plus grand producteur de chanvre au monde, le berceau historique de sa culture se trouve bel et bien en France, entre Bretagne et Normandie. A Noyal-sur-Vilaine, où se situe la société Triballat chez laquelle nous nous rendons, le chanvre fait même partie intégrante de l’histoire des lieux, à tel point qu’une Maison de l’écochanvre y a été construite pour faire état de la mémoire du passé comme des innovations du présent. Hier, on transformait ici les fibres de chanvre en voiles pour les navires. Aujourd’hui, on tire de ses graines une boisson, des « spécialités végétales » (il n’est pas permis de parler de lait, yaourt ni fromage blanc, mais on a saisi l’idée) et des desserts vegan, véritables innovations végétales. Ici mais ailleurs aussi, le chanvre a le vent en poupe : 11 à 12 000 hectares sont actuellement cultivés en France.
Immersion dans un champ de chanvre
C’est non loin de Noyal que nous rendons visite à Marc Chaumont, producteur bio de céréales et de plusieurs parcelles de chanvre dans le village de Carnet, situé dans le sud de la Manche. Nous sommes début septembre et la récolte a eu lieu la veille. Les tiges sont en train de sécher dans le champ et les graines dans deux bennes dédiées à cet effet.
La tige de chanvre, ou paille, est constituée de deux éléments. Le premier, le squelette, appelé chènevotte, est valorisé en paillage dans les jardins ou bien mélangé à de la chaux pour obtenir du béton de chanvre. Le second, la fibre extérieure, sert en papeterie, dans l’industrie textile ou la fabrication de matériaux composites. Les graines, enfin, se logent à la tête de la plante sous forme d’inflorescences. On les récolte à la moissonneuse batteuse et on les fait sécher très rapidement à basse température pendant deux jours environ, afin de les préserver d’une oxydation qui nuirait à leur richesse exceptionnelle en matières grasses de qualité, les fameux Omégas-3.
Disons-le d’entrée afin qu’aucune ambiguïté ne subsiste : si l’on s’amusait à fumer les feuilles du chanvre cultivé ici, on aurait tout au plus très mal à la tête… La variété en question, sélectionnée pour être utilisée dans l’alimentaire et l’industrie, n’est en effet qu’une cousine du cannabis psychotrope et chacune de ses plantations est dûment déclarée en préfecture – ce qui n’empêche pas quelques pillages opérés par quelques consommateurs mal renseignés… et rapidement déçus !
Le principal nuisible du chanvre, ce ne sont toutefois pas les visiteurs du soir, mais plutôt les punaises (et il y en a beaucoup !). En-dehors de cela, sa culture est très facile et très adaptée au bio, car elle ne nécessite l’usage ni de fongicides ni de pesticides. En effet, la plante, une fois qu’elle a atteint 1 mètre de hauteur, étouffe toutes les variétés qui l’entourent : pas une seule mauvaise herbe ne subsiste ! Juste les punaises… Toutefois, si la culture est simple, cela se complique pour la récolte et surtout la transformation. Le chanvre est récolté en automne, donc plus sujet que les céréales (récoltées en été, à l’exemple du blé) à d’éventuelles précipitations pouvant perturber son séchage. Ceci dit, le changement climatique, poussant l’été indien à son paroxysme, semble faciliter les choses aux cultivateurs d’année en année… De quoi laisser à penser que le chanvre est véritablement taillé pour être l’un des aliments du futur !
Chanvre d’aujourd’hui : innovations végétales
La transformation, parlons-en. Chez Triballat, on est d’abord spécialiste des produits laitiers animaux ainsi que du soja (Sojade, c’est ici que ça se passe !). Si la transformation du soja en boisson végétale est traditionnelle en Asie et n’a pas posé de problème pour être adaptée à un mode de fabrication à grande échelle, l’extraction du « jus » de chanvre, ces minuscules graines à oiseaux, fut une tout autre affaire qui demanda à Triballat pas moins de deux années de recherche et développement. La faute aux Oméga-3 ! Les graines de chanvre sont en effet plus grasses et beaucoup plus sensibles à l’oxydation que les fèves de soja.
Pour obtenir la boisson végétale, on mélange les graines avec de l’eau puis on broie le tout. Comme dans le cas du soja, on filtre le résultat pour mettre de côté les résidus insolubles, et ne conserver que le broyat couleur blanc crème, à la saveur noisetée. Il sera mis tel quel en bricks UHT ou bien servira à préparer les « spécialités So chanvre », préparations fermentées (nature, aux fruits) ou texturées (façon crème au chocolat).
La spécificité du jus de chanvre est sa teneur en matières grasses, principalement des Omégas-3, mais également sa richesse en protéines (25%, presque comme le soja). On nous signale que l’aminogramme (composition en acides aminés d’une protéine) du chanvre est à l’étude, et que l’on commence tout juste à comprendre qu’il a, comme qui dirait… un très sérieux potentiel !
Le « So chanvre » nature, quant à lui, est si réussi qu’il fait plaisir à déguster et à cuisiner. Enfin une vraie alternative à la version soja nature, onctueuse, avec de la tenue et un goût frais et neutre ! Si l’on ne se contente pas de le déguster à la petite cuillère avec un peu de confiture ou de crème de marrons, on pourra l’utiliser simplement en remplacement du yaourt ou du fromage blanc dans n’importe quelle recette. Mélangé à une cuillerée de moutarde douce aux aromates et à un filet d’huile de chanvre, il donne une sauce du tonnerre pour les crudités, et dosé avec un pot en verre, il permet d’obtenir un superbe gâteau au yaourt. Deux exemples parmi tant d’autres…
Huile et farine de chanvre
Mais les graines de chanvre sont avant tout connues pour leur équilibre optimal entre Oméga-3 et 6 (dont un très rare, l’acide gamma-linoléique), favorables à une bonne santé vasculaire et cérébrale. On en extrait depuis toujours une huile aux vertus santé reconnues, de couleur vert émeraude et très parfumée, dont le prix est lié à la complexité de son extraction : il faut 100 kg de graines pour obtenir 16 litres d’huile !
L’huile de chanvre Emile Noël que nous avons sélectionnée est obtenue sur des presses à vis sans fin, à vitesse lente, sans recours aux solvants et sans être chauffée. Une fois filtrée sur papier buvard, elle est versée dans des bouteilles en verre teinté qui la protège de l’oxydation. Soyez toutefois prudent en la consommant assez rapidement et en la conservant au réfrigérateur. Ne la cuisez pas : elle est parfaite pour assaisonner les crudités, les légumes cuits ou les céréales directement dans l’assiette. Les graines de chanvre qu’utilise Emile Noël sont désormais cultivées en France.
Le tourteau, résidu du pressage de la graine, est meulé puis tamisé pour donner la « farine » de chanvre. Vert kaki, sans gluten, poudre plutôt que farine, elle ne peut pas être utilisée en remplacement de la farine de blé mais apporte de la couleur, du goût et un vrai plus nutritionnel à toutes sortes de préparations (gâteaux, crêpes), à raison de 10% du volume total de farine. Satoriz en propose à la marque Ananda.
Graines entières et décortiquées
Enveloppée d’une fine pellicule, la graine de chanvre croque sous la dent. Sa richesse en protéines est comparable à celle des œufs et de la viande. Elle apporte du craquant aux pains et aux salades et gagne à être légèrement torréfiée au préalable pour plus de saveur. On peut broyer les graines de chanvre pour les utiliser en lieu et place d’une partie de la farine dans des recettes de crackers ou de pâte à tarte. Il est également possible de les faire germer.
Une fois décortiquées, les graines sont blondes et souples, avec une saveur délicate d’amande et de noisette. Vous les trouverez dans notre rayon cru, à la marque Iswari. Elles sont moins riches en fibres que les graines complètes, mais davantage en acides gras et en protéines : c’est un ingrédient chouchou des sportifs, très simple à intégrer dans le bol du petit-déjeuner comme à parsemer dans les salades. En cuisine, elles apportent de l’onctuosité aux pâtes à tarte ou à gâteaux, mais aussi aux recettes de boulettes ou de « steaks » végétaux.
La version « protéines de chanvre », une poudre contenant 50% de protéines, est encore plus appréciée. Il est facile de l’intégrer directement à des smoothies ou à des pâtes à tartiner sucrées ou salées, comme le houmous ou le guacamole.
A vos tabliers !
CC