Charcuterie Rostain – Entretien : Lionel Rostain

rostainSi le petit monde du bio en France s’est longtemps tenu à l’écart des produits carnés, force est de constater qu’il n’en est plus de même aujourd’hui… Peut-être parce que l’idée du végétarisme n’est plus chevillée à celle d’une alimentation de qualité. Peut-être aussi parce que les magasins bio se sont dotés des banques froides nécessaires pour proposer viande, volaille et charcuterie dans de bonnes conditions. Mais on doit plus que tout ce changement à la détermination des producteurs et transformateurs qui ont rendu ces produits disponibles ailleurs qu’à la ferme. La charcuterie Rostain est de ceux-là. Garante de la tradition et de la plus authentique démarche bio, elle nous permet de profiter du meilleur du cochon. Et ce n’est pas facile : il faut beaucoup d’organisation et de rapidité pour la fraîcheur, du temps pour le fumage, le salage et le séchage, énormément d’attention et d’hygiène, des recettes éprouvées et… du cochon ! Ce qui n’est pour l’instant pas le point fort de la filière. Son élevage est en effet difficile : le porc demande beaucoup de soins de par sa fragilité, nécessite des infrastructures répondants à des normes sévères et requiert une alimentation très spécifique en bio : le fameux “ lien au sol ”, notamment, établit que la ration doit être constituée au minimum à 40 % d’aliments produits sur l’exploitation même. Une excellente mesure pour la qualité du produit et la cohérence écologique qu’elle induit en monde rural, mais une exigence difficile pour l’éleveur qui veut s’installer ou se convertir en bio.

L’élevage de madame Roussin

Exigence qui n’a pourtant pas fait reculer Joëlle Roussin. Encouragée par Lionel Rostain, patron de la charcuterie du même nom, elle s’est lancée dans l’aventure avec un courage et une sérénité qui forcent l’admiration. En commençant par construire la porcherie de ses mains, avec l’aide d’un ami. Basé à l’orée d’un bois et à flan de coteau, ce local étonne d’abord par son architecture dominée par le bois, parfaitement intégrée au splendide cadre qui l’entoure : nous sommes à Gap, dans les Hautes Alpes. Mais ce qui surprend le plus, c’est l’absence totale d’odeur à l’extérieur, qui nous laisse supposer que l’élevage n’est pas encore opérationnel. Erreur…

rostain1En pénétrant dans la porcherie, c’est tout un pan de notre imaginaire qui s’écroule : la paille est ici sèche et propre, elle sert de litière douillette aux petits, aux moyens et aux gros cochons… L’ambiance qui se dégage de l’ensemble est comparable à la chaleur accueillante d’une étable, sereine et paisible. Pas de bruits autres que les mouvements furtifs des bêtes dans leur enclos, surprises par notre arrivée. La lumière est douce et reposante. Quant à l’odeur, excusez ce commentaire qui n’a pourtant rien de provocateur : elle est agréable…
De quoi remettre en cause bien des préjugés ? Concernant la prétendue saleté de la bête, oui : soit propre comme un cochon, mon enfant ! Sur les porcheries en revanche, il faudra nuancer. L’univers repoussant de la puanteur porcine n’est pas un mythe, mais il appartient à un autre monde : celui des élevages concentrationnaires ou les bêtes ne sont que future chair, entassées sur des caillebotis et livrés à leurs propres excréments rendus fétides par le stress, l’alimentation dénaturée et les antibiotiques qui ravagent les intestins. Ce qui nous donne l’occasion d’évoquer la pollution : on sait l’élevage des porcs en grande partie responsable des souillures agricoles au niveau des sols et de l’eau. Le lisier en est à l’origine. Il existe pourtant une méthode éprouvée pour en dissiper les méfaits : en mélangeant les déjections à de la paille, on obtient du fumier. Correctement retourné pendant un an, il se transformera non seulement en perdant son caractère nuisible, mais en devenant un excellent engrais. Utilisable pour cultiver les céréales qui nourriront les porcs ! On récupérera alors la paille, etc…

La cohérence écologique du partenariat entre les différents acteurs de cette filière gapençaise ne s’arrête pas là : l’abattage s’effectue à un kilomètre du lieu d’élevage, ce qui évite les transports inutiles et limite le stress des bêtes. Démarche déjà louable en soi, qui a également une incidence non négligeable sur la qualité de la viande, le stress étant générateur de toxines. Quant à la charcuterie Rostain, il ne faudra pas poursuivre plus de cinq ou six kilomètres pour y accéder, non sans être passé devant le dépôt du transporteur… Pas mal, non ?

Madame Roussin n’est pas le seul éleveur travaillant pour l’entreprise Rostain. D’autres le font dans de toutes aussi bonnes conditions, mais plus loin. Dans d’autres régions, parfois : nous vous l’avons signalé dès notre introduction, l’offre est limitée. Ce que ces élevages ont un commun mérite d’être rappelé : les porcs sont élevés pendant 182 jours avant l’abattage, contre 100 en conventionnel. Leur nombre est limité à 750 par année et par élevage. Ils ont la possibilité de sortir, lorsque le temps est clément. Et sont soignés par homéopathie… ou avec de l’argile, pour lutter contre les diarrhées. Autant d’éléments respectueux du monde animal. Et autant d’atouts indispensables à l’obtention d’une chair de qualité qui permettra l’élaboration d’une charcuterie saine et authentique, puisque c’est bien la finalité.

La charcuterie Rostain

???????????????????????????????Là encore, les locaux surprennent : flambants neufs et très lumineux, ils ont longuement été pensés avec un seul objectif : adapter le matériel au produit, et non pas le contraire. Tout y est rationnel, mais rien de l’esprit artisanal n’a été sacrifié : la mécanisation est là pour dispenser des taches trop répétitives, comme le ficelage des saucisses, ou pour soulager les dos des charges lourdes, grâce à un élévateur. Les options écologiques possibles n’ont pas été négligées, notamment avec le système de récupération de la chaleur des chambres froides qui permet le chauffage de l’excellente eau de source qui arrive dans les locaux. Quant à l’hygiène, elle y est méticuleuse.
Contraste intéressant : entre les importantes quantités de saucissons qui attendent d’être suffisamment secs pour vous être proposés, et au contraire la quasi absence de stock sur les autres produits, qui sont fabriqués et expédiés quelques heures à peine après avoir été commandés !
Dernier point qui mérite d’être signalé : l’esprit de l’entreprise est manifestement resté familial, et le restera. L’équipe est composée de huit salariés qui travaillent sous la direction de Lionel Rostain, lequel met un point d’honneur à continuer de participer à la production.

Y a-t-il une tradition de produit charcutiers à Gap qui serait à l’origine de la vocation des Rostain ?
Lionel Rostain : pas plus qu’ailleurs… Mais le climat y est favorable, pour le séchage notamment. Mon père a appris son métier chez sa marraine, puis a fondé sa boucherie traditionnelle il y a 35 ans.

Est-ce lui qui a opéré la transition vers le bio ?
Oui, en 82, en commençant par le porc. Il avait remarqué une dégradation des matières premières : la viande rendait de l’eau, ne dorait plus dans la poêle, était moins savoureuse et plus sèche… C’est donc l’aspect gustatif qui l’a amené à changer. La qualité étant à nouveau là, il s’est vite tourné vers le bio pour le bœuf et la volaille également.

rostain4Vous avez travaillé avec lui ?
J’ai commencé à faire des études dans le génie électrique… Mais suis retourné à la boucherie familiale, que j’ai reprise en 95. Mon premier apport à l’entreprise a été de commercialiser des terrines, ce qui a permis de développer notre commerce auprès des boutiques bio. Ce fut un succès, et nous avons donc élargi la distribution aux produits frais. Puis j’ai construit le local que nous venons de visiter, qui nous donne plus d’espace pour travailler, avec moins de peine.

Comment définiriez-vous la spécificité de vos produits ?
Ils sont bien entendu bio, et nous avons tout fait pour conserver les recettes artisanales et familiales. Mais ce qui nous caractérise avant tout, je dirais que c’est la régularité. Notre jambon est le même qu’il y a six mois et sera toujours identique dans les mois qui viennent, et cela vaut pour tous nos produits. C’est dû au fait que nos recettes sont dosées au gramme près, avec nos propres épices, même pour une production de 500 kg. Les prix en bio sont élevés, on ne peut pas décevoir nos clients et cela nous oblige à une grande rigueur.

On l’a vu ce matin à la fabrication des saucisses : vous utilisez exclusivement des boyaux naturels pour vos productions. Est-ce la règle générale ?
Sur la charcuterie de qualité, souvent. Mais d’autres utilisent des boyaux reconstitués, avec un liant, du collagène.

On trouve beaucoup d’adjuvants dans la charcuterie. Vos étiquettes mentionnent ceux que vous employez. Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs leur finalité ? Commençons par les sels nitrités.
Ils sont autorisés en bio. J’ai été consulté pour l’élaboration du cahier des charges en charcuterie et j’étais personnellement contre l’usage de cet adjuvant, car on peut s’en passer. Il est en effet utilisé uniquement pour l’aspect visuel, notamment pour le jambon qu’il rend rose, mais n’apporte rien à la conservation. Le problème est le suivant : si l’on se passe de sels nitrités, est-ce que le consommateur achètera un jambon gris ? J’ai pour ma part fait des expériences sans sels nitrités et trouvé des solutions pour garder malgré tout l’apparence rosée. C’est après ouverture qu’il vire alors au gris et que le client pourrait le juger visuellement inapte à la consommation, alors que ce n’est pas le cas ! La solution serait que tous les intervenants en bio se passent de cet adjuvant, en fournissant des informations précises au consommateur pour le rassurer.

rostain3Il arrive que votre jambon présente des reflets bleu-verts qui rappellent l’écaille…
Ils sont dus au tranchage, et sont accentués par l’emballage plastique. Mais ils ne sont pas un signe d’altération. Au contraire, ils garantissent une qualité artisanale. De même, une auréole grise sur une tranche ne fait que mettre en évidence un morceau plus dense du jambon, dans lequel les sels nitrités que l’on évoquait tout à l’heure n’ont pas pu pénétrer.

Le salpêtre est très souvent présent, dans le saucisson notamment…
C’est un conservateur naturel, que l’on trouve parfois sous forme de moisissure sur les murs. Les Égyptiens l’utilisaient déjà. On pourrait également s’en passer, mais les dates limites de ventes en seraient réduites et l’on ne serait pas à l’abri du botulisme, une maladie qui peut être fatale. Il est à noter que lorsqu’on met du salpêtre, on rajoute également du sucre (bio chez nous). Il se produit alors une réaction qui transforme le salpêtre en acide ascorbique (vitamine C), qui joue le rôle de conservateur.

L’ascorbate de sodium ?
C’est le stabilisant, dans les jambons. Grâce à lui, le contenu d’un sachet de jambon ternit, mais doucement. Il est sans aucun inconvénient.

Le lactose bio ?
On en met dans le saucisson sec, car c’est lui qui permet la fermentation : si l’on s’en passait, le saucisson ne fermenterait pas, ne sécherait pas et finirait par pourrir… C’est un peu comme la présure dans le lait caillé. Notre lactose est donc extrait du lait bio, sans l’aide de solvants. Il est toujours bon de rappeler que grâce à la fermentation, le saucisson est un aliment très sain.

On trouve aussi de curieux ingrédients dans vos terrines : Génépi, Cognac… Est-ce encore une histoire de conservateur ?
Non, c’est uniquement pour le goût ! Cela fait partie de nos recettes ! Les terrines sont stabilisées par la stérilisation, elles ne nécessitent donc pas de conservateur.
Certains en mettent pourtant…
Ce qui pourrait justifier cette pratique serait la conservation après ouverture : c’est la raison pour laquelle nous ne faisons que des pots de 180 g, que l’on finit aisément dans les trois jours. (Trois jours ? c’est bien plus qu’il n’en faut !)

Que peut-on dire du fumage, chez vous comme de manière générale ?
Tous nos produits fumés le sont aux copeaux de bois non traités. Le temps de fumage varie en fonction du produit, de vingt minutes à cinq jours… Lors de cette opération, le produit sèche et perd 10 à 20 % de son poids, par évaporation. C’est une des raisons pour lesquelles il existe d’autres procédés en conventionnel : usage de fumée liquide, ou même injection de goût fumé. Non seulement on ne perd pas de poids ainsi, mais on en gagne… Cette pratique est cancérigène.

On a déjà entendu parler de gain de poids avec les polyphosphates…
… que nous n’utilisons pas, bien sûr. Ils ont pour seul but de retenir l’eau. Avec 4 kg de jambon, on en vend facilement 6 kg au consommateur… Lequel croit payer moins cher, alors qu’il achète de l’eau… De plus, ces jambons sont “ barattés ” à outrance : un procédé qui consiste à malaxer le jambon pendant plusieurs heures pour casser les fibres du muscle, afin qu’il soit plus perméable à l’humidité.

Parlons maintenant du salage : peut-il également révéler de mauvaises surprises ?
De mauvaises, non, mais il existe plusieurs manières de faire, plus ou moins nobles : pour notre part, nous pratiquons le salage des poitrines à sec : elles sont recouvertes de sel et d’épices, pendant plusieurs jours. La également, on perd du poids, car le sel fait ressortir l’humidité. En milieu industriel, on sale les poitrines dans une saumure, qui est donc un mélange d’eau et de sel. Dans ce cas-là, le produit final est bien entendu plus lourd… Le consommateur s’en aperçoit à la maison, parce que ces poitrines se conservent mal. Dans la poêle aussi, car les lardons diminuent plus qu’ils ne le devraient, dans un crépitement dû à la présence d’huile… et d’eau.

Conclusion : consommons du Rostain, ou passons au pâté végétal ! À propos, qu’en pensez-vous, de ce pâté végétal ?
J’en consomme ! C’est comme les terrines à base de viande, ils ne sont pas tous bons… Mais c’est un choix de consommation que je respecte tout à fait.

Vous m’avez fait part de votre emploi du temps plutôt rempli, je n’ose pas le transmettre aux lecteurs… (plus matinal, on ne peut pas !) Avez-vous le temps de vous consacrer à autre chose qu’à votre travail ?
J’ai longtemps joué au hockey sur glace, à Gap. Je le pratique encore, mais en loisir. Je pratique également très volontiers la randonnée.

Question rituelle que nous posons à tous nos interlocuteurs pour cet entretien : si vous aviez à retenir un livre, un tableau, un disque ?
– Je lis peu… Je suis plus technique que littéraire ! Mes lectures sont essentiellement professionnelles et concernent l’alimentation, mon métier.
– Plus qu’un tableau, je citerai le paysage qui m’entoure : j’habite une région exceptionnelle et il n’est pas un jour sans que je prenne quelques minutes pour observer le panorama. Ça me ressource.
– Mes goûts musicaux sont liés aux années 80 et aux chanteurs que j’écoutais à l’époque : Michel Sardou, Florent Pagny…

JM