Une grave crise sanitaire a durement frappé l’Allemagne en mai 2011. Pendant l’affaire dite « des graines germées », des faits tragiques ont incité les autorités à ne négliger aucune piste de surveillance. On n’en voudra donc à personne d’avoir agi parfois approximativement, dans le feu de l’action. Mais après…
Et bien après, on a déploré un grand vide. Aucune responsabilité n’a été clairement établie, et rien ne fut entrepris pour que les citoyens aient accès aux véritables informations qui blanchissent indiscutablement les graines germées alimentaires et le monde du bio.
Point de recours à la sempiternelle supposée théorie du complot dans les lignes qui suivent, mais d’implacables faits qui montrent clairement qu’on n’a guère eu d’empressement à défendre un aliment, une filière mais aussi une vision de la vie qui n’est pas celle des tenants de la toute-puissance antimicrobienne.
Il est temps de revoir l’événement avec du recul, afin de mieux avancer. Nous donnons la parole à Philippe Bourgois, qui préside à la destinée de la société Germline, distributeur de graines à germer, fabricant de graines germées.
Les graines germées ont été l’objet d’une large remise en cause l’été dernier. Que s’est-il passé ?
En mai 2011, une épidémie de SHU* s’est déclarée en Allemagne. Le syndrome se manifeste par des diarrhées sanglantes et un blocage des fonctions rénales. Elle fut suivie de décès et d’un grand nombre d’hospitalisations. Les autorités allemandes se sont immédiatement lancées dans une enquête pour essayer d’identifier les origines de cette épidémie, et de la juguler au plus vite.
*Syndrome Hémolytique et Urémique
Quelle bactérie en était responsable ?
Il s’agit d’une bactérie de type Escherichia Coli, mais d’une souche pratiquement inconnue jusqu’alors, et c’est ce qui a décontenancé ces autorités. Les tomates et concombres bio importés d’Espagne ont rapidement été cités comme responsables, à tort. Pour arriver à cette mauvaise conclusion, les responsables ont fait un étrange raccourci : ils estimaient que les bactéries de ce type se propagent plus rapidement avec des engrais traditionnels de type fumier qu’avec des engrais chimiques. Un raccourci d’autant plus curieux qu’on utilise aussi du fumier en conventionnel, et que des tomates et des concombres bio d’Espagne, il s’en consomme partout en Europe, sans qu’aucun problème ne soit identifié. Or, le foyer épidémique était vraiment très localisé autour de la ville d’Hambourg.
De belles graines, sélectionnées et germées dans les règles de l’art
En sait-on plus sur cette souche particulière d’E-coli ?
Les enquêteurs ont fini par l’identifier. De manière générale, l’E-coli est une entérobactérie connue, présente partout dans les intestins des animaux à sang chaud, dont les humains. Il en existe des centaines de souches différentes, inoffensives et même nécessaires, puisqu’elles constituent une part de notre flore intestinale. Mais parmi les familles et sous-familles de cette bactérie, certaines sont pathogènes. L’une d’entre elle est très connue et surveillée dans le milieu de la viande ; on peut parfois la retrouver dans les steaks hachés, notamment. La bactérie qui a été à l’origine de l’épidémie est une variété rare de cette souche, jusque-là inconnue en Europe, ce qui explique la difficulté à la repérer.
Où était-elle connue ?
En Afrique et au Moyen-Orient. C’est la raison pour laquelle la piste des tomates et concombres espagnols a été abandonnée. Les autorités ont par la suite pensé à des laitues, puis à des germes de « soja » (haricots mongo), et enfin à des graines de fenugrec égyptiennes, ce qui reste l’hypothèse la plus plausible, à défaut de constituer une certitude. Notons toutefois que parmi toutes les recherches faites en Allemagne sur ces graines et dans les entreprises qui les font germer, aucun contrôle n’a été positif. La souche a été retrouvée sur ces graines germées dans les poubelles et dans le réfrigérateur d’un consommateur, mais nulle part ailleurs.
L’épisode s’est malheureusement répété, en France cette fois-ci…
C’est le fameux gaspacho de la ville de Bègles, dans lesquelles des graines de fenugrec germées ont été identifiées. L’hypothèse s’en est trouvée confortée. L’épidémie a été moins grave, mais on a pu cette fois en tirer des conclusions : de graves erreurs en sont à l’origine, car on était là dans un univers qui ignorait tout des bonnes pratiques alimentaires.
Manque de rigueur au niveau de la qualité des graines, de la germination ou de la cuisine ?
L’élément le plus déterminant est certainement à chercher du côté des graines : elles ont été achetées dans une jardinerie, et non pas chez un distributeur alimentaire. De même, la société anglaise qui a conditionné ces graines n’appartient pas au monde de l’alimentaire, mais à celui de la jardinerie.
Cela signifie-t-il automatiquement que le travail n’a pas été fait dans les règles de l’art ?
Je n’en n’ai encore jamais parlé jusqu’à présent, mais cette question me donne l’occasion de faire connaître certains faits : ces gens nous avaient sollicités pour acheter des graines, mais n’avaient pas donné suite, car ils considéraient que nous les vendions trop cher… On avait beau leur expliquer l’ensemble des contrôles qu’on effectuait et la priorité que l’on accordait à la sécurité alimentaire, l’argument n’était pas retenu. Et lorsqu’ils ont été mis face à leur responsabilité, pendant le drame, ils nous ont appelés en urgence pour se renseigner sur le type de contrôles sanitaires nécessaires pour commercialiser des graines destinées à l’alimentation humaine. On ne peut s’improviser acteur dans le domaine de l’alimentaire, je m’autorise à pointer du doigt cet aspect.
Où ces graines avaient-elles été achetées ?
Chez un courtier en semences allemand, qui a vendu ces graines de bonne foi à cette société anglaise, en pensant qu’elles seraient destinées au jardinage. À aucun moment dans cette triste histoire on ne trouve le moindre opérateur alimentaire, ou bio. Il est honteux, d’après ces faits, d’avoir mis en cause les graines germées alimentaires et incriminé le bio.
Que peut-on dire sur la contamination de ce fenugrec égyptien ?
Rien de bien concluant apparemment. Mais je ne suis pas agronome, et préfère me référer au travail de Claude Aubert sur la question**.
** « E. coli et autres risques alimentaires, la bio injustement accusée ». Fascicule instigué, financé et distribué par Biolinéaire. Claude Aubert fait le tour de l’état des connaissances sur la question, et remarque qu’aucune certitude n’a pu être établie. Il pose en outre trois questions « : 1) Pourquoi la ferme où les graines ont été produites n’a-t-elle pas été identifiée ? Une question que nous avons posée à l’EFSA et à l’importateur allemand des graines égyptiennes et qui est restée sans réponse. 2) Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’autres contaminations alors que les graines ont été exportées – et très probablement mises à germer – dans de nombreux autres endroits ? 3) Pourquoi la bactérie n’a-t-elle jamais été retrouvée nulle part, sauf dans l’intestin des personnes malades et, en Allemagne, dans la poubelle d’un consommateur ? »
Vous pratiquez depuis toujours de très nombreuses analyses sur les lots que commercialise Germline, la société que vous dirigez. Vous est-il déjà arrivé d’en refuser certains ?
Oui, des lots de toutes provenances. Mais c’était sur des critères germinatifs, et non pathogènes.
Au moment de l’affaire, avez-vous recherché la fameuse bactérie dans vos lots ?
Bien sûr, nous avons déclenché une véritable opération commando et avons tout analysé. Les autorités ont fait de même en magasin et dans toute la chaîne alimentaire. Des milliers d’échantillons ont été prélevés et analysés, rien n’a été trouvé.
À partir de cet épisode malheureux, on n’a jamais autant parlé des graines germées à la télé…
Nous avons été sous le feu des médias, journaux, radios, télés, et présentés comme les coupables de la plus grande crise alimentaire depuis la vache folle… Nous avons été catégorisés comme produit à risque, alors que rien dans cette affaire ne relevait de notre métier ! La sécurité alimentaire dans le domaine des graines germées est parfaitement maîtrisée dans la mesure où l’on agit selon les règles en vigueur dans la profession. C’est ce que j’ai essayé d’expliquer. Rien n’y a fait.
On peut concevoir l’émotion suscitée par les évènements de l’été dernier, et l’approximation dans les réponses qui ont été données dans un contexte d’urgence. Mais il semble que, parallèlement, cet épisode ait été une bonne occasion pour viser le bio…
C’est évident. Les détracteurs les plus connus du bio sont réapparus et en ont profité pour lui faire un très mauvais procès, au travers des graines germées. Claude Aubert y a bien répondu avec son petit livret. C’est le monde à l’envers… Car jamais jusqu’à présent le bio n’a été mis en cause dans une histoire de sécurité alimentaire. À l’inverse, et précisément au niveau des bactéries, les dérives de certains types d’élevages et de mode de production intensifs induisent des accidents***.
*** Parmi de nombreux exemples possibles, citons à nouveau Claude Aubert, directement à propos du sujet qui nous préoccupe aujourd’hui : « Les souches virulentes se caractérisent par leur résistance à plusieurs antibiotiques. On peut donc penser qu’elles sont apparues – soit par mutation, soit par transfert de gènes à partir d’autres bactéries – dans le tube digestif d’animaux ou d’individus ayant été traités par des antibiotiques ». Rappelons que l’usage des antibiotiques en traitement préventif est interdit en bio.»
D’autres ont évoqué l’environnement humide et chaud nécessaire à la germination, et les bactéries qui se développent en un tel milieu. Qu’en est-il ?
J’ai lu avec effroi les déclarations des grands spécialistes de la bactériologie au moment de la crise : « avec les températures tropicales de 35° nécessaires à la germination, il y a prolifération bactérienne… ». Mais nous ne travaillons jamais à ces plages de températures, sans quoi toutes nos productions seraient fermentées ! Notre eau d’irrigation rentre à 20°, nos salles de germination sont régulées à 21° été comme hiver, et pendant la germination, on ne dépasse pas 24 à 25° au cœur du produit. Nous avons des sondes dans les germoirs et disposons de germoirs rotatifs, pour éviter que des germes s’amalgament et soient à l’origine d’une chaleur supérieure, ou d’une fermentation non souhaitée.
On peut toutefois certainement imaginer qu’il y a une vie microbienne pendant la germination ?
Tout à fait, et elle est nécessaire. C’est comme pour le lait, il est indispensable de conserver une certaine flore, car la présence de bonnes bactéries empêche la prolifération des mauvaises. On sait que dans les salles blanches ou les atmosphères trop aseptisées, les bactéries pathogènes se développent beaucoup plus rapidement parce qu’elles ne sont plus concurrencées. Il est donc nécessaire de ne pas pousser trop loin la logique du stérile, car c’est potentiellement dangereux. Mais il ne faut pas se tromper de cible : la clé de la sécurité, c’est avant tout la graine. Si elle est saine au départ, elle sera saine à l’arrivée, pour autant qu’on respecte des modes opératoires bien établis.
Quelles ont été les conséquences de l’événement sur les différentes filières ?
Concernant les producteurs de fruits et légumes espagnols, tout d’abord… Ils ont eu des chutes de ventes énormes, et des milliers de tonnes de fruits et légumes ont été détruites. Ils ont été partiellement indemnisés. Dans le secteur des graines germées, nous n’avons eu droit à rien. Des producteurs de graines européennes ont fermé. Une entreprise de graines germées française a déposé le bilan, et il y a eu des plans sociaux dans les autres. Aujourd’hui encore, tout reste très précaire.
Qu’en est-il des ventes ?
Elles sont moitié moindres. Il semble que les clients historiques du bio n’aient pas douté de la germination, mais que les nouveaux consommateurs aient été sensibles au discours médiatique et s’en soient détournés.
Germline a toujours eu des protocoles de surveillance extrêmement avancés. Avez-vous malgré cela ajouté de nouvelles mesures depuis cette crise ?
On a forcément rajouté la recherche de cette nouvelle bactérie et de toutes les E-coli pathogènes. Mais nous avons surtout fait beaucoup plus, collectivement, au niveau de la filière française : nous avons voulu nous mettre à l’abri de tout reproche possible et avons développé nos contrôles jusqu’à des seuils incroyablement élevés, du jamais vu dans l’industrie agroalimentaire. Nous avons mis en place un protocole renforcé, sous le contrôle scientifique de Silliker (du groupe Mérieux Nutriscience) et élaboré une charte en trois points. Au début, nos confrères européens nous ont traités de fous furieux… Aujourd’hui, les autorités européennes prennent ce protocole en exemple et vont le faire appliquer dans toute la communauté.
Ces nouvelles normes vous ont-elles permis de mettre en évidence des problèmes qui vous avaient échappé auparavant ?
Voici le bilan : nous nous sommes sacrifiés financièrement en mettant en place le système de contrôle le plus abouti qu’on puisse imaginer. 100 % de la production des quatre sociétés françaises impliquées dans la germination a été analysé en sortie des germoirs. Nous avons recherché toutes les E-coli pathogènes, mais aussi les salmonelles. En 6 mois de surveillance intensive, nous n’avons strictement rien trouvé. Pas l’ombre d’une trace suspecte, dans aucune des quatre entreprises.
Comment faire connaître ces résultats et vos exigences au grand public ?
Nous avons créé un logo, en collaboration très étroite avec les plus hautes autorités administratives et scientifiques françaises****, afin que les consommateurs puissent repérer notre démarche.
**** Direction Générale de l’ALimentation – Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes – Agence Nationale de SEcurité Sanitaire – Institut National de Veille Sanitaire.
Philippe Bourgois décrypte les trois points clé de la charte AFPGG
1) Sur les graines
– Nous avons augmenté le seuil statistique de nos recherches, qui a été multiplié par 20. Pour une tonne de graines comme le pois chiche par exemple, 24 kg sont aujourd’hui prélevés et analysés ! Pour l’alfalfa, qui a une densité différente, 13 kilos, etc. Grâce à ces tests, une seule graine problématique sur 100 000 peut être détectée !
– Notre mode de surveillance a été modifié : les contrôles ne sont plus effectués en laboratoire, mais dans une zone de nos ateliers de production, en « grandeur nature », si l’on peut dire. Ces lots sont analysés et germent véritablement, dans les mêmes circonstances que s’il s’agissait de notre production.2) Sur l’eau
Nous faisons une analyse mensuelle de l’eau, alors qu’un seul test annuel est imposé par la législation.3) Sur la production finale
Nous procédons à ce qu’on appelle un contrôle libératoire : 48 heures avant la fin de la germination en production, nous faisons analyser les eaux de drainage de nos graines, celles qui irriguent la totalité de notre production. Ce n’est qu’à réception de l’analyse que nous mettons les graines en barquette, et les distribuons.
Suite à ces initiatives, ces mêmes autorités ont-elles contribué à vous réhabiliter, pour effacer les doutes injustement instaurés l’été dernier ?
Nous avons été félicités par ces organismes. L’ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire) s’est prononcée noir sur blanc pour une levée de doutes sur les graines germées. Nous avons aussi reçu les félicitations écrites du Ministre de l’agriculture. C’est très gentil, mais ce n’est pas ce que nous voulions. Nous avions simplement demandé une levée de doutes officielle, ou même un simple communiqué public… Ce qui n’a pas été fait.
Que peut-on dire de convaincant pour inciter à la consommation de graines germées ?
C’est le stade de vie où un végétal a la plus forte concentration énergétique. En faisant germer une graine, on la sort de sa dormance, et en quelques jours elle fabrique toutes les réserves de micronutriments dont la plante aura besoin par la suite : vitamines, minéraux, enzymes, coenzymes, acides aminés…
Est-ce qu’il s’agit d’un aliment quotidien, d’un alicament, d’un aliment de luxe ?
D’un aliment quotidien, oui, mais « de luxe » au niveau financier, certainement pas ! Faire germer des graines à la maison, c’est tout sauf cher. Il s’agit de plus d’un aliment sain, faible en calories, qui présente des arômes intéressants. « De luxe » au niveau nutritionnel, oui, on l’a vu. Les graines germées présentent aussi la particularité d’avoir les mêmes vertus que la plante qui en sortira : les graines germées de radis noir par exemple sont détoxinantes pour le foie, comme le radis noir, et ainsi de suite pour chacune d’entre elles. On peut dire que l’on retrouve les vertus des plantes à l’état concentré dans les graines germées. Enfin et surtout, ces micronutriments sont conservés naturellement dans un aliment vivant, ce qui est unique dans l’univers alimentaire.
Pouvez-vous nous citer une graine à faire germer, et nous indiquer ce qui vous semble être l’outil idéal pour ceux et celles qui voudraient s’essayer à la germination à la maison ?
Pour l’outil, je dirais notre petit germoir bocal : c’est le système le plus simple et facile pour réussir la germination au quotidien. Il est en verre, avec un couvercle plastique 100 % fabriqué en France, sans bisphénol ni phtalates. L’ensemble est facile à laver, facile à désinfecter. Pour la graine, je choisirais l’alfalfa, c’est-à-dire la luzerne. Une des graines les plus riches en toutes sortes vitamines, très antioxydante, facile à faire germer, pas trop forte en goût, c’est la graine idéale pour débuter !
Merci Philippe Bourgois pour ces éclaircissements. Une conclusion ?
Je suis heureux de redonner leurs lettres de noblesse aux graines germées, dont les qualités ne peuvent en aucun cas être remises en question. Qu’elles retrouvent rapidement la place qu’elles n’auraient jamais dû perdre !
JM