« On s’éclate avec les vieilles boissons ! ». C’est Kevin, cofondateur de la société Kombuch’Alpes, qui le dit… À la vue de sa passion communicative pour les bulles à l’ancienne, on ne demande qu’à le croire. Depuis quelques années, il produit du kombucha, une boisson pétillante et millénaire obtenue par la fermentation de levures et de bactéries avec du thé et du sucre. Héritier d’une longue tradition de druides, d’acrobates et de bricoleurs, Kevin a fait le choix d’un kombucha radical. Pourquoi ? Comment ?
Un rêve
Au début, il y a un rêve, celui de Kevin, acrobate chevronné, jardinier et passionné de fermentation. Kevin a des envies d’aventure sans concession. De la fermentation à l’ancienne, sans filtres ni frigos. Une commercialisation digne de ce nom, en bouteilles consignées et à vélo. Quelque chose de radical et qui dirait son nom.
Un jour, une amie baroudeuse lui rapporte du Brésil un pot de confiture contenant une source de kombucha. Kevin la nomme Source.
Source est ce que l’on appelle communément un scoby, pour symbiotic culture of bacteria and yeast en anglais. Il s’agit du mélange de bactéries et de levures qui, cultivé sur du thé et du sucre, donne le kombucha.
En se développant, il ressemble à une mère de vinaigre, un disque un peu visqueux. Kombucha signifie en japonais « thé d’algue kombu » parce que la texture du scoby rappelle celle de l’algue en question. Pourtant le kombucha ne contient aucune algue !
Source tombe à point nommé. Kevin produit quelques litres pour sa consommation personnelle, puis de pleines cuves en inox pour faire découvrir ces bulles autour de lui. On sait comment ça commence (dans un garage, immanquablement), rarement comment ça finit ! Aujourd’hui, Source, Kevin et l’équipe de Kombuch’Alpes produisent dans une « brasserie » ou « bullerie » low tech montée de toutes pièces à Fontaine, juste à côté de Grenoble. Kevin s’est d’abord associé à son ami Mathieu, puis avec Nicolas, avant d’accueillir maintenant des salariés et des alternants, toutes et tous de joyeux lurons.
L’aventure commence au pire moment possible : en plein Covid, juste avant une importante baisse des ventes de produits bios, assorti d’un problème de disponibilité des bouteilles en verre et de la hausse des prix que l’on connaît. Le démarrage est donc lent, ce qui n’est pas plus mal : le pire est peut-être passé !
Le kombucha est le produit d’une symbiose. Pour simplifier, on peut dire que les levures transforment le sucre en alcool, puis que les bactéries changent cet alcool en acides organiques. Les déchets des unes sont la nourriture des autres. Une fermentation bien menée empêche la prolifération de micro-organismes indésirables.
Cham’chaude
Kombuch’Alpes occupe un petit local dans le garage d’une ancienne usine. Tout le matériel est d’occasion. Le principe est celui de la low tech, qui consiste à mettre en œuvre des techniques durables, simples et faciles à s’approprier. Le tout pour consommer le moins d’énergie et développer le plus d’autonomie possible.
« Cham’chaude », la petite chambre de fermentation dont le surnom fait référence à un proche sommet du massif de la Chartreuse, est à la bonne température grâce à un radiateur, un ventilateur et une bouche d’aération. Elle est remplie de bassins recouverts d’un épais tissu tenu par des pinces à linge. C’est tout !
Dans le bac du haut, Source est nourrie avec un mélange de thés et de sucre de betterave bio français. Dans les autres bacs, on lui ajoute des infusions et des jus de fruits pour l’aider à développer de nouvelles saveurs. Dans le bac du bas, on trouve le « trop-plein » de Source : c’est le vinaigre de kombucha.
Le vinaigre, c’est un peu le graal du kombucha. Anciennement, en Asie, la noblesse ne le consommait d’ailleurs que sous cette forme. Particulièrement complexe et riche en acides organiques, le vinaigre de kombucha serait excellent pour la santé.
Le kombucha est commercialisé au bout de 6 semaines à 3 mois de fermentation, selon la saison. Dans cette ancienne usine, il fait très froid l’hiver et très chaud l’été : on fait avec !
Une aventure radicale
Lent, mais radical. Kombuch’Alpes a fait des choix forts :
1- Des approvisionnements de qualité. La majorité des plantes utilisées pour la fermentation proviennent du réseau Simples, syndicat français de paysans engagés pour la protection de l’environnement, la préservation des ressources floristiques, la qualité de la production et le respect du consommateur. Les thés sont sourcés par les experts de la marque Jardins de Gaïa. Ces choix se reflètent dans la mention Nature & Progrès apposée sur les bouteilles de Kombuch’Alpes, mention qui promeut une agroécologie paysanne et politique au moyen d’un cahier des charges particulièrement exigeant.
2- Un respect total du processus de fermentation. En laissant la fermentation aller à son terme, on obtient une boisson dans laquelle tout le sucre a été consommé par les levures et les bactéries. En effet, tant qu’il reste du sucre, les micro-organismes s’en nourrissent et travaillent. Pour stopper cette fermentation et garder du sucre en bouteille, nombre de fabricants filtrent leur kombucha, le pasteurisent ou le stockent en frigo. La microfiltration et la pasteurisation réduisent à néant toutes les levures et les bactéries pour donner un produit stable. Ces méthodes sont très énergivores. Pour Kevin, elles modifient même l’essence du kombucha. Laisser la fermentation aller à son terme permet d’obtenir un kombucha à la fois vivant et stable. Il peut être conservé à température ambiante. Simple et efficace : merci la symbiose !
3- Pas de frigos. Le fait de pouvoir conserver le kombucha à température ambiante permet de ne pas avoir recours à la longue et complexe chaîne du froid, sacrément consommatrice d’énergie. Exit frigos et camions réfrigérés, Kombuch’Alpes livre même ses clients grenoblois à vélo !
4- Les bouteilles peuvent toutes être consignées. La consigne se met progressivement en place du côté des magasins bios. Kombuch’Alpes fait partie des acteurs les plus engagés aux côtés du réseau France Consigne, fédérateur d’entreprises qui organisent la collecte et le lavage des bouteilles dans les territoires.
C’est Kevin qui le dit : « Quand on coche toutes ces cases, on peut enfin consommer sans culpabiliser ! Une bouteille par jour de kombucha, c’est déjà pas mal… »
Dégustation
Ce kombucha est unique en ce qu’il ne contient plus du tout de sucre. À la dégustation, on a presque une impression de cidre un peu acidulé. Impression trompeuse car le kombucha est une boisson sans alcool*.
À peine plus acide que d’autres kombuchas, il est pétillant et agréable à boire même nature. Les puristes apprécieront. Ceux qui regrettent l’absence de sucre pourront en ajouter à leur guise, notamment avec des sirops.
Laisser la fermentation aller à son terme, c’est laisser place à la magie. Au cours de la vie de chaque bouteille, de nouveaux arômes se révèlent et évoluent. Le jus de pomme-coing, l’infusion de verveine ou de badiane et romarin : tous les ingrédients prennent leur place, se transforment… L’alchimie opère !
* Ce kombucha contient 1 % d’alcool, ce qui le place en-dessous du seuil définissant les boissons alcoolisées.
Des alternatives sans compromis
Pour plaire à un public le plus large possible, la plupart des producteurs laissent du sucre dans leur kombucha. Pour Kevin, il n’était pas question de transiger sur ce point. Mais parce qu’il faut bien assurer la rentabilité économique de l’entreprise, Kombuch’Alpes a mis au point deux autres boissons : des sodas de qualité, peu sucrés (4 g/100 ml) et uniquement à base de produits bruts, sans arômes ni acide citrique. En lieu et place de ce dernier, du vinaigre de kombucha !
– Le Kamaté, infusion gazeuse au maté, jus de citron, vinaigre de kombucha et sucre. L’arôme de maté est agréablement présent dès l’ouverture de la bouteille.
– La ginger beer qui mêle jus de gingembre frais, jus de pomme, hydrolat de basilic, vinaigre de kombucha, jus de citron et sucre. Son arôme de gingembre est très tonique. Elle se laisse boire avec une facilité déconcertante !
D’autres rêves
Encore plus à l’aise sur les mains que sur ses deux pieds, Kevin se repose sur deux piliers :
– L’esprit de la symbiose. L’humain et la nature ont créé de concert ce nouveau milieu sur lequel levures et bactéries sont venues se développer et dont résulte une boisson que l’on dit bonne pour la santé. C’est une longue lignée qu’il s’agit d’honorer par un processus d’expérimentation perpétuellement audacieux.
– La créativité sans limite qu’autorise le kombucha. Le vivant s’autorise à vivre, l’humain à créer. Certaines études démontrent que le kombucha pourrait purifier l’eau croupie. Les produits fermentés sont importants pour l’humanité. Voilà qui autorise à rêver, encore.
D’autres rêves : utiliser plus de plantes sauvages et du thé français, le cultiver, planter des (grandes) forêts, créer un bar à boissons fermentées, diminuer encore son impact, continuer à kiffer. La tête en bas et les mains dans la terre.