Le pain de la Boulangerie Savoyarde

BSlogo40ansEcole en Bauges est un tout petit village savoyard tombé au creux des montagnes que l’on rejoint en venant d’Albertville, Chambéry, Annecy et Aix-les-Bains, après avoir franchi quelque col et admiré au passage hameaux, vieilles fermes et autres petits villages typiques du parc naturel des Bauges. Imparable pour se mettre dans l’ambiance et venir à la rencontre de la Boulangerie savoyarde, nichée ici depuis 40 ans. La Boulange, comme disent ceux qui la font vivre au quotidien, se confond en vérité si bien avec le paysage que l’on pourrait aisément se laisser happer par les sommets environnants, et passer à côté… Mais pas aujourd’hui, car on est venus exprès pour fêter cette quarantaine flamboyante et rendre honneur aux acteurs du lieu et au fruit de leur travail : du pain bio au levain ancien, cuit au feu de bois. Un produit simple qui a le goût de l’esprit des lieux.

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Tout une histoire

 

boulange1La Boulangerie savoyarde, c’est d’abord une histoire de copains. Elle commence comme celle de Satoriz, à la fin des années 70, en Savoie, autour d’une bande d’amis désireux de retrouver la voie d’une alimentation saine. A l’image d’autres pionniers du bio en France, tous se sont intéressés de près à la macrobiotique et sont animés par la volonté de remettre au goût du jour une tradition que l’industrialisation avait reléguée aux oubliettes : le vrai bon pain au levain cuit au feu de bois… mais en version bio, une vraie première à l’époque. Parmi eux, deux frères, Dominique et Jean Hervé, qui fonda plus tard la production de purées d’oléagineux du même nom mais s’était préalablement installé à Ecole en Bauges en 1976 pour fabriquer des huiles végétales. Au cœur du village, le four à pain était toujours là, inutilisé depuis des lustres. Manquait juste le bon boulanger… Mais Jean Hervé avait parmi ses connaissances un certain Patrick Le Port, formé au pain au levain… en Hollande. Paradoxe des temps modernes : alors que les fours électriques ou à gaz avaient petit à petit remplacé les fours à bois et la technique du levain déserté les boulangeries françaises, la tradition était entretenue par des aventuriers du bio d’Europe du Nord. Patrick Le Port s’installa donc dans les Bauges et fit démarrer l’activité de la Boulangerie, formant les copains selon sa propre méthode : sur le tas !

Ce pain bio au levain et à la farine complète, les habitants du coin ont d’abord refusé d’y goûter. Pain complet ? Pain de guerre, oui ! A l’époque, le pain blanc à la croûte croustillante et à la mie gonflée au vide d’air était devenu la référence efface-mémoire. Pour vendre du pain complet, il fallait donc aller un peu plus loin. Et Satoriz, dès 1981, fut l’un des premiers revendeurs du pain de la Boulangerie Savoyarde.

Dominique Hervé, quant à lui, devint très rapidement le biscuitier de la Boulangerie savoyarde. Des biscuits ? Certainement pas comme les autres ! Quelque part entre le pain et le biscuit, ils ne contiennent ni sucre, ni levure, seulement de la farine, de l’huile de tournesol, du sirop de blé… et les “petits plus” qui distinguent chaque type de biscuits : graines de sésame, raisins secs, coco râpée, graines d’anis pour ne citer que ceux qui évoquent à l’auteur de ces lignes nombre de souvenirs d’enfance.

Obstacle au départ, l’isolement géographique de la boulangerie est aujourd’hui une spécificité du lieu comme du produit. Les locaux ont enfin pris leurs habitudes et les randonneurs bien renseignés s’arrêtent pour faire le plein de pain et de cake aux fruits secs au petit comptoir disposé juste à côté du four. Dans le temps, si le boulanger était trop occupé, on avait l’habitude de laisser l’appoint sur le comptoir… Aujourd’hui, on est souvent accueilli par le sourire d’une vraie vendeuse, comme dans une vraie boulangerie !

 

Le pain

 

boulange5Aujourd’hui, le pain au levain a regagné ses lettres de noblesse et sa popularité. En France, les boulangers bio sont nombreux, le choix est vaste et chacun saura trouver celui qui lui convient. Il s’agit toutefois de savoir de quoi l’on parle : si la plupart des pains bio sont fabriqués avec du levain, certains boulangers produisent également du pain à la levure, ou au mélange levain-levure. La levure permet en effet de travailler plus rapidement et d’obtenir une croûte croustillante, ce que ne permet pas le levain “à l’ancienne”, simple mélange d’eau et de farine mis à fermenter et rafraîchi chaque jour. Mais il est légal d’appeler levain une préparation contenant également du miel ou du marc de raisin, deux “boosteurs” de fermentation. Pour faire savoir qu’elle n’utilise rien de tout cela, la Boulangerie savoyarde parle de levain “ancien”, le terme “naturel” n’étant pas autorisé et les sous-titres pas très parlants… Mais vous voilà ainsi dans la confidence !

Le levain de blé de la boulangerie est le même depuis plus de vingt ans ; c’est peu dire qu’il est nourri du temps et de l’ambiance des lieux. Au total, cinq levains y sont bichonnés chaque jour, à base de farines différentes : blé, khorasan, épeautre, seigle et sarrasin, le plus récent, destiné au pain riz-sarrasin. Les levains de khorasan, d’épeautre et de seigle donnent les pains dits “purs”, à 100 % constitués de la farine concernée, du levain associé, d’eau et de sel.

boulange6Le levain est intégré à la pâte constituée d’eau, de sel et de farine, qui repose pendant 1h avant que les boulangers forment les pâtons, manuellement. On les laisse ensuite fermenter 4h durant dans des bannetons en osier, sous une légère toile de lin. Ici, laisser le temps faire son travail fait partie de la démarche. Cinq heures, c’est le contraire de l’instantanéité de la levure, tout comme la cuisson à la chaleur descendante du four à bois appartient à un monde différent de celui du four électrique.

Le four tourne toute la semaine, sauf le samedi. Il est chauffé à 270 °C jusqu’à ce que les pains soient enfournés. La chaleur vive les saisit alors, les faisant rapidement gonfler, puis elle descend doucement jusqu’à 180 °C pour terminer leur cuisson à cœur. Les boulangers toquent au dessous du pain : si ça sonne creux, c’est cuit ! Sinon, on réenfourne… La cuisson dure de 35 mn pour les petits pains à 1h10 pour ceux de 3 kg. Cette chaleur dégressive est très favorable à la cuisson des gros pains, qui sont les plus savoureux et que l’on peut se procurer à la coupe. Mais dans tous, le four laisse l’impression du bois, une odeur et une saveur bien à part. À la Boulangerie Savoyarde, la chaleur du bois, qui brûle dans un foyer séparé, est diffusée directement dans le four par l’intermédiaire d’un gueulard. A l’inverse, il existe des fours utilisant le bois comme un simple combustible réchauffant des briques par l’extérieur. Dans ce cas, le pain n’en tire aucun profit, même si l’on parle tout de même de pain cuit au feu de bois…

On utilise la chaleur résultant d’une fournée de pain pour griller individuellement chaque ingrédient du müesli maison, dont la recette fut élaborée par Jacques Mittler, grand instigateur du mouvement bio dans la région : flocons de céréales, amandes, noisettes, graines de sarrasin grillées et raisins préalablement enduits d’une farine de châtaigne. Puis on procède au mélange à la main. Le müesli de la Boulangerie Savoyarde est un produit simple, sans fruits exotiques, chocolat, ni sucre ajouté. Sa particularité réside dans l’empreinte du feu de bois et la douceur conviée par les raisins et la farine de châtaigne.

boulange4Le pain au levain a une saveur un peu plus acide et permet une meilleure conservation que le pain à la levure. Or plus un pain au levain se conserve, plus il s’améliore, ses glucides devenant plus digestes avec le temps, qu’il suffit là encore de laisser faire son travail. Le pain emblématique de la Boulangerie Savoyarde est le demi-complet, élaboré à partir d’une farine Type 80 qui contient le germe du grain de blé et ses premières enveloppes. La pâte du pain demi-complet constitue la base des pains spéciaux (noix, sésame, raisins secs) et de la très appréciée fougasse aux olives ! La boulangerie fabrique également du pain blanc (à base de farine blanche, mais non “blanchie”, de Type 65), et du pain intégral (à la farine de Type 150).

Impossible de clore ce descriptif sans évoquer le produit culte  : le célèbre cake aux fruits secs qui impose aux randonneurs venus arpenter les Bauges de s’arrêter pour (re)faire le plein et évoque des souvenirs gourmands chez les grands enfants élevés aux produits de Satoriz (suivez mon regard). Préparé avec 30% de fruits secs (amandes, noisettes et raisins), des œufs, de l’huile de tournesol, de la levure de marc de raisin, du sel de Guérande et un soupçon de miel, il convient aussi bien au petit déjeuner qu’au goûter ou en montagne, et se conserve longtemps. Si l’on accepte de le laisser vraiment vieillir, on peut même en faire un délicieux pudding… mais cela n’arrive jamais !

CC