Une cuillerée à café de chicorée soluble au fond d’une tasse. Un peu d’eau bouillante-mais-pas-trop. On remue quelques instants et c’est déjà prêt : une boisson chaude qui revigore aussitôt, légèrement amère comme le café qu’elle n’est pas, riche d’arômes caramel. Miracle de l’instantané et de sa simplicité, derrière lesquels se cachent pourtant une histoire longue de quelques siècles et un processus de transformation sacrément complexe. Car notre chicorée soluble est extraite d’une racine, à ne pas confondre avec la salade du même nom, pas plus qu’avec les graines du caféier… Penchée sur son cas, j’ai eu deux révélations. La première, c’est qu’elle fait un carton en cuisine, pour tout plein de raisons que nous détaillerons juste un peu plus loin. La seconde, c’est un petit secret – à lire en toute fin d’article !
Aux racines de la chicorée
La chicorée est vieille de plusieurs milliers d’années. Il parait qu’on en causait déjà sur les papyrus, 4000 ans avant JC… On avait alors constaté ses vertus digestives, sur lesquelles la médecine ancestrale a continué à disserter de peuple à peuple et au fil des époques. On dit que Charlemagne encouragea sa culture en France – bien vu, Charlie : la chicorée pousse particulièrement bien dans le Nord de notre pays.
Restait à comprendre comment la rendre buvable, car sa simple décoction était particulièrement amère. Ce sont les Hollandais qui ont trouvé la solution au milieu du XVIIIe siècle, en tentant la première torréfaction de racine de chicorée, pour constater que cela permettait enfin de consommer celle-ci agréablement sous forme d’infusion.
Désormais « buvable », la chicorée a rapidement été cultivée dans une grande partie nord de l’Europe, à la faveur du blocus continental de 1806 qui avait entraîné une pénurie de café. Le processus de transformation de la racine en poudre soluble a dans le même temps été amélioré pour obtenir une boisson agréable, qui conservera sa place dans les bols même lors du retour du café. Economique, la chicorée était souvent mélangée pour moitié à ce dernier, comme dans certains mélanges en bocaux très populaires aujourd’hui encore sur la table du petit-déjeuner…
La France est un grand producteur de chicorée, qui n’est plus seulement cultivée pour sa version soluble mais également pour sa grande richesse en inuline dont l’industrie tire aujourd’hui deux produits distincts : des fibres alimentaires qui seront ajoutées à certains aliments (pain, yaourt) et du fructose qui remplace le saccharose dans de nombreuses recettes industrielles. Comme pour le café et, dans une moindre mesure, le chocolat, c’est la torréfaction qui a fait passer la chicorée du statut de vulgaire racine à celui de boisson délicate et aromatique, dont chaque cru a des saveurs différentes, appréciées des amateurs. La torréfaction permet en effet d’obtenir la réaction de Maillard, qui développe les arômes par le brunissement des aliments. C’est cette réaction qui est intervenue quand on en vient à humer les arômes d’un poulet rôti ou de tranches de pain grillées ; c’est elle aussi qui développe les arômes et les flaveurs de la chicorée. En changeant son inuline en fructose, elle donne un goût caramel qui, allié à l’amertume naturelle de la chicorée, lui confère sa saveur typée et unique.
De la racine à la chicorée soluble
Pour passer de la racine à la poudre de chicorée, quatre étapes sont nécessaires : déshydratation, torréfaction, extraction et atomisation. Le process est complexe – difficile, pour ne pas dire impossible, de faire sa chicorée maison ! Pour en savoir plus, je me suis renseignée du côté de chez Favrichon, notre fournisseur n°1 de chicorée bio.
Déshydratation. Une fois récoltées (principalement dans le nord de la France, mais également dans les pays limitrophes), les racines de chicorée bio sont lavées puis coupées en lamelles. Celles-ci sont ensuite séchées dans de gros tambours avec de l’air chaud.
Torréfaction. C’est là qu’intervient le savoir-faire de la société, car il s’agit d’obtenir le meilleur arôme possible en s’adaptant aux particularités de chaque récolte. Les réglages sont le fruit de nombreux ajustements et d’un véritable savoir-faire. La torréfaction s’effectue entre 150 et 180 °C.
Extraction. Pour obtenir le produit instantané, on soumet les lamelles torréfiées à un processus d’extraction. Pas simple à visualiser ! Les lamelles sont passées sous un flux d’eau très chaude dans une file de récipients cylindriques reliés les uns aux autres. Le jus brun foncé qui en sort est appelé extrait.
Atomisation. Point de nucléaire dans l’affaire… Il s’agit du même procédé que l’on met en oeuvre pour obtenir de la poudre de lait, par exemple. Pour assécher l’extrait liquide et en faire une poudre, on le pompe dans une gigantesque tour de pulvérisation. L’air y est constamment maintenu chaud, et l’extrait est pulvérisé à partir du haut de la tour, sous forme d’un fin brouillard dans l’air chaud. Tout en descendant, les minuscules particules de jus se vident de leur eau par évaporation. Elles se déposent donc dans la partie inférieure de la tour sous la forme d’une fine poudre bien coulante et immédiatement soluble. Cette dernière, une fois refroidie, est enfin versée dans des bocaux en verre.
Succédané ou succès santé ?
Redécouverte en période de pénurie alimentaire, la chicorée revêt aujourd’hui encore l’image du succédané, du substitut, du « café du pauvre ». Sa consommation « juste pour elle-même » est assez récente et encore confidentielle. Elle est notamment liée à son image de boisson naturelle, exempte de substances excitantes (comme la caféine) et riche de nombreux bienfaits. Sur le plan nutritionnel, l’inuline, qui est un prébiotique (voir page 42), stimule le développement des bonnes bactéries et l’activité de la flore intestinale. Elle facilite la digestion. Les amateurs de chicorée apprécient également son goût, différent de celui du café, avec des notes gourmandes et caramélisées. Sa consommation est très courante dans le Nord de la France et en Belgique, où elle est fréquemment utilisée dans des spécialités de pâtisseries régionales. En cuisine, il serait dommage de passer à côté ; elle apporte une note caramélisée et gourmande aux sauces et aux desserts et accentue la saveur et la coloration des mets grillés ou rôtis, viandes comme légumes.
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CC