Si vous souhaitez vous lancer dans un potager – sur votre balcon, dans votre jardin, sur votre toit – vous allez certainement devoir vous pencher sur la question des semences.
Ludique, cette activité vous demandera tout de même un peu de méthode pour obtenir de belles récoltes !
Des semenciers se sont donné pour mission de protéger les semences reproductibles, des variétés anciennes et paysannes, et de les rendre accessibles.
Rencontre avec l’un d’entre eux : « La Semence Bio », maison semencière militante, familiale et indépendante, la 1ère en France à être 100 % bio.
Entretien – Cyriaque Crosnier-Mangeat
Qui se trouve derrière la marque « La Semence Bio » ?
Mon frère et moi avons fondé notre maison semencière, Agrosemens, en 2002 à Aix-en-Provence. Une maison familiale, car nous sommes cinq frères et sœurs dont quatre qui occupent des postes à responsabilité dans l’entreprise. Selon les aspirations de chacun, plutôt la tête dans les chiffres ou les mains dans la terre ! Nous employons trente à cinquante personnes, selon la période de l’année. 80 % de notre activité est consacrée aux maraîchers professionnels, les 20 % restants aux particuliers.
Quelle est l’ambition de votre Maison ?
Nous avons pour mission de protéger les variétés de semences et la biodiversité végétale cultivée. La semence est l’une des seules choses que l’homme ne pourrait pas créer. Dans ce but, nous sélectionnons des variétés anciennes, des semences paysannes et donc reproductibles.
Nous sommes au service du vivant en tant que passeurs de savoir, de sens et de tradition. Concrètement, nous voyons l’agriculture comme un métier qui nourrit les hommes dans tous les sens du terme. Nous sommes loin de croire que le vivant nous appartient.
Comment produit-on des semences ?
Nous produisons les semences de base dans notre ferme, puis nous les envoyons à une cinquantaine de paysans semenciers partout en France qui se chargent de les reproduire. Nous nous engageons avec eux sur plusieurs années, avec un niveau de prix équitable. Nous participons aussi à les former et à améliorer leurs outils de production.
Il est important que nos graines soient produites sur l’ensemble du territoire national : cela permet une meilleure capacité d’adaptation des semences aux différents terroirs.
Produisez-vous la totalité de vos semences ?
Les trois-quarts environ. Pour le reste, nous travaillons avec des confrères français et européens afin de proposer des semences spécifiques de certains terroirs, par exemple des variétés biodynamiques produites en Suisse ou en Allemagne, très résistantes au froid.
Où produisez-vous vos semences de base ?
Dans un lieu qui ressemble au Paradis sur Terre ! Notre ferme expérimentale est située au nord d’Aix-en-Provence, au bout d’un plateau. Entourée de domaines viticoles bio et de forêts, elle s’étend sur six hectares. Cette localisation est importante, car nous devons à tout prix éviter la proximité de jardins potagers ou de fermes maraîchères pouvant entraîner des consanguinités. Certaines graines nécessitent plusieurs kilomètres d’éloignement pour ne pas se croiser.
Le lieu cumule toutes les pratiques agroécologiques. L’élevage, avec des chèvres et des vaches de races anciennes qui nous donnent du fumier, utilisé dans nos préparations biodynamiques et nos cultures. Différents jardins : un mandala permacole, des serres en plastique pour reproduire la réalité de nos clients agriculteurs, des haies vives et permanentes, des cultures d’engrais verts et des unités en agroforesterie. Nous accueillons des abeilles grâce à un partenariat avec une apicultrice : cela permet une meilleure fécondation de nos plantes.
Nous nous sentons vraiment bien dans ce lieu, que nous avons eu la chance de pouvoir acquérir grâce à notre partenariat avec La Nef*.
* La Nef est une coopérative bancaire qui défend une finance saine et transparente. Elle finance uniquement des projets à plus-value écologique, sociale ou culturelle.
C’est un lieu de production, mais aussi de recherche ?
Nous avons fait de cette ferme un centre d’expérimentation, de recherche et d’amélioration variétale. L’objectif : trouver les techniques les plus douces possibles pour l’environnement et les plus rentables pour le paysan.
Nous travaillons avec des instituts de recherche comme l’Inrae et le Cirad. Nous participons également à des réseaux comme Maraîchage Sol Vivant*.
En France, mais pas seulement : j’ai longtemps travaillé en Afrique, où est née mon envie de transmettre la vie au travers des semences. Nous travaillons avec des associations en Afrique de l’Ouest afin de transmettre bénévolement nos variétés reproductibles et notre savoir-faire professionnel à des agriculteurs, pour qu’ils ne soient pas pris au piège de leurs semences.
*Le réseau MSV est une association dont l’objectif est de produire des légumes de qualité avec des fermes viables écologiquement, économiquement et humainement.
Pourquoi ce caractère « reproductible » est-il aussi important ?
Une semence reproductible est libre de droits. On la distingue d’une semence hybride, qui est issue d’un croisement dirigé entre une plante choisie comme mâle et une comme femelle.
L’objectif de l’hybridation est de cumuler certains caractères dans la descendance : goût, résistance aux maladies, adaptation à des stress climatiques ou à des modes de culture. Ces variétés – comme l’hybride F1- sont inscrites au catalogue officiel. Elles coûtent cher et le paysan n’en est jamais le propriétaire. S’il cherche à reproduire ces semences, il va obtenir de mauvais résultats. Il y a une perte d’autonomie.
Alors pourquoi les maraîchers bio les utilisent-ils ?
Il y a vingt ans, lorsque l’agriculture biologique s’est répandue, les paysans ont eu besoin de semences en quantité, de qualité et à un prix modéré.
À l’époque, les semences paysannes coûtaient très cher et n’étaient pas souvent de qualité professionnelle. Il n’était pas possible de nourrir tous les consommateurs de fruits et légumes bio sans avoir recours à des semences hybrides. Pour certaines cultures, comme celle de la carotte, c’est d’ailleurs encore difficile à l’heure actuelle.
Beaucoup de maraîchers bio utilisent par conséquent des graines issues de l’agriculture chimique, non traitées après récolte. Nous avons choisi de les soutenir en leur proposant certaines variétés hybrides, mais pas n’importe lesquelles. Nous sommes farouchement opposés aux OGM.
Dans la gamme « La Semence Bio », disponible dans nos magasins, trouve-t-on des variétés hybrides ?
Aucune. « La Semence Bio », marque destinée aux particuliers, est composée uniquement de variétés reproductibles et libres de droits.
La plupart sont des semences paysannes dites « population ». Elles sont 100 % bio. 10 % sont cultivées en biodynamie et 40 % en Bio Cohérence*. Pour des questions techniques à ce stade, nous ne pouvons toutefois pas le spécifier sur nos sachets.
*Le label Biocohérence garantit du 100 % bio, origine France et sans travailleurs détachés. Il est basé sur des objectifs écologiques, économiques, sociaux et humanistes pour une agriculture bio productive durable et respectueuse de la terre et des hommes.
La législation sur les semences semble extrêmement complexe…
Nous pensons que l’une de nos missions est de la faire évoluer. Nous avons choisi de respecter pleinement la réglementation et de participer aux travaux des institutions et des interprofessions afin de les faire évoluer de l’intérieur. La semence c’est le vivant, les réponses ne sont jamais simples !
CC