Le grataron du Beaufortain

Là-haut dans la montagne…

bochon

grataron… se cache un trésor qui ne se dévoile qu’au palais ! Nous voici en Beaufortain, petit massif montagneux, entre Tarentaise et Mont-Blanc. Ici règne presque sans partage le prince des fromages, le fameux Beaufort qui, en termes de renommée, peut largement se passer de nos services. Nous nous sommes rendus du côté de Queige, à Outrechenais précisément, rencontrer celle et ceux qui, sans menacer l’hégémonie du maître, osent produire autre chose… J’ai nommé le grataron du Beaufortain.

Ce fromage est à la chèvre alpine chamoisée ce que le Beaufort est à la vache tarine : un accomplissement. Car, première entorse à l’orthodoxie locale, le grataron n’est pas issu du lait des sages tarines mais bien de celui de chèvres coureuses et peu disciplinées.

Pour donner forme à ce fromage, nous parlerons d’un petit reblochon de chèvre, sans aller plus loin histoire de ne fâcher personne. Son point commun historique avec le reblochon est l’origine « vivrière » : l’un comme l’autre étaient produits pour la consommation familiale, sans prétentions commerciales. Ce qui ne les a pas empêchés d’atteindre l’excellence qu’on leur connaît aujourd’hui.

Le grataron se présente sous la forme d’une petite galette de pâte molle, non cuite et pressée. C’est ainsi que le définiront les quatre ou cinq fermes qui en fabriquent… Et les recettes de chacun donneront des saveurs pour les goûts de tous. Natifs d’Arêches ou d’Hauteluce au cœur du massif, de Queige, village-porte du domaine, on les dira plus cousins que frères. Certains ont la croûte lavée, d’autres fleurie, blanche ou orangée, selon les pratiques du lieu. Cette production est, vous l’avez deviné, très confidentielle. Elle est celle d’un produit de terroir haut de gamme qui échappe encore à toute normalisation.

auroreOutre sa saveur et ses particularités, le nôtre se démarque des quelques autres par sa nature bio, c’est le seul !

C’est sur les flancs boisés de la commune de Queige que, voici trente ans, Francis Gachet est parti sur un plan « chèvre », comme on dit. Bio, tant qu’à faire, puisqu’ici tout s’y prêtait. Et qu’il suffisait pour cela de s’inspirer des anciens, en refusant quelques facilités chimiques. Si l’on devait décrire le Bochon, lieu où se trouve la ferme, un mot conviendrait : la pente. C’est elle qui fait la rudesse du lieu, son morcellement mais aussi sa beauté et le bonheur des chèvres, quadrupèdes grimpeurs. C’est elle qui freine les ardeurs résidentielles et préserve une montagne dédiée à ceux qui peuvent y travailler. Francis a donc fait le boulot dans les années 80 en installant l’activité, et aspire aujourd’hui à contempler sa montagne, comme un pêcheur sa rivière. La transmission à sa fille Aurore s’est faite naturellement  : la jeune femme est reliée à son Beaufortain, et les quelques années d’études « à la ville » n’ont pas distendu ce lien.

La ferme d’Aurore ressemble à s’y méprendre à celle de Francis, le grataron aussi puisque le tour de main qui a fait sa gloire a perduré. Mais l’époque n’est plus la même et Aurore ne s’est lancée qu’avec le concours de Johan, homme du pays et ami d’enfance avec qui elle est en train de s’associer. Lui qui fût musicien professionnel est devenu l’homme-clé de l’exploitation, permettant à Aurore d’exercer parallèlement ses talents de boulangère.

famille

80 chèvres à mener paître, à surveiller, nourrir, traire et soigner : ça prend bien sa journée, de l’aurore au crépuscule. Et on n’est pas de trop à deux pour durer et faire face aux aléas.

chevresLa méthode de fabrication reste invariable, que ce soit à la ferme queigeraine ou dans les alpages de Treicol près du lac de Roselend l’été. Le lait est chauffé puis emprésuré à l’aide de caillette de veau : le caillé obtenu est alors découpé en grains, disposés dans des moules pour une journée. Une fois démoulées et salées, les pièces partiront en cave d’affinage, pour la durée qu’Aurore et Johan jugeront nécessaire. Le grataron est un fromage qui reste de son vivant (c’est à dire tant que vous ne l’avez pas englouti) toujours raisonnable. Avec un caractère doux et moelleux, sans piquant excessif. Cela a certainement à voir avec la qualité des prairies grasses et fleuries ou du foin parfumé (et local) que broutent les biques tout au long de l’année. Rien à voir avec les herbes rares et fortes du Causse qui donnent des saveurs plus corsées.

Notre grataron est un fromage cependant très gourmand en lait, tirant ses qualités de la concentration de la matière. Pas de problème pour nous qui aimons bien ça. Pour les chevriers, il en est tout autrement. Une bonne laitière de la race chamoisée va donner 2 litres chaque jour, c’est nettement moins que la production d’une blanche de la race Saanen, par exemple, mais Aurore et Johan préfèrent la première pour sa nature montagnarde. Il convient donc, pour assurer l’équilibre économique de l’exploitation, de ne pas transformer toute la production laitière en grataron mais de produire également du « lactique » dont la mise en œuvre nécessite moins de lait et pas d’affinage. Nous vous proposerons, quand nos chevriers seront prêts, des petits frais que vous pourrez soit déguster immédiatement, soit laisser s’affiner à votre goût.

Nous allons vous laisser courir dénicher cette merveille dans votre magasin le plus proche. Ne soyez pas déçu si vous ne le trouvez pas toujours, ni tout le temps, la production étant limitée. Ce fromage naît du travail de Johan et d’Aurore, du temps qu’il fait dans le Beaufortain, et du bon vouloir d’une bande de chèvres…

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Alain Poulet