Le levain pour tous ! Entretien – Valérie Zanon

Livres, podcasts, réseaux sociaux : le levain n’a jamais autant été mis en avant. S’il effraie ou indiffère les uns, il conquit tous ceux qui parviennent à l’apprivoiser. Au-delà du pain, avoir un levain chez soi est un gage de bonne santé physique comme psychique (et permet de se régaler avec des brownies et des crackers de folie !). Autrice du livre Levain aux éditions Alternatives et créatrice du podcast « Vilain levain », Valérie Zanon décrypte cette préparation étrange que l’on adore titiller, et rend le levain aussi nécessaire qu’accessible à tous.

Entretien – Valérie Zanon

Qui êtes-vous, Valérie ?

Je suis une boulangère amatrice, passionnée de fait maison, de fermentation en général et de cuisine bio en particulier. Je fais mon pain au levain chez moi au quotidien. J’adore ça, cela m’apporte beaucoup de bien-être ! Très curieuse, j’aime comprendre les processus naturels et aller au bout des choses.

Pourquoi vous êtes-vous intéressée au levain ?

Il y a une quinzaine d’années, des soucis de santé au niveau intestinal m’ont fait revoir mon alimentation. J’ai alors fait la connaissance du microbiote intestinal et de son impact sur la santé physique et mentale. J’ai compris combien on pouvait facilement le déséquilibrer en fonction de ce que l’on mange, de ce que l’on boit… J’ai lu que la fermentation permettait d’apporter des enzymes nécessaires à son entretien. Je me suis donc intéressée de près aux aliments fermentés. Je faisais déjà mon pain maison, avec de la levure. Le moment était venu de me pencher sur le cas du levain, un vrai truc de baba-cool à l’époque…

Qu’est-ce que le levain ?

Il s’agit simplement d’eau et de farine qui, une fois combinées, se mettent au fil des heures et des jours à produire du gaz carbonique. On introduit cette pâte dans des préparations que l’on souhaite faire lever.

D’où vient-il ?

On ne connaît pas précisément la date ni le lieu d’apparition du levain, même si on pense qu’il a pu apparaître en Mésopotamie. Il s’agit vraisemblablement d’une découverte empirique, comme celle du feu et de la panification. On peut imaginer qu’une galette cuite au feu de bois aura été oubliée et qu’une fermentation aura commencé… On sait que les Égyptiens, qui fabriquaient une boisson fermentée à base de céréales, ont fait l’expérience du transfert de cette matière liquide au solide. Le levain a ensuite été largement utilisé pendant plusieurs siècles. Transmis au sein des familles, il faisait partie du foyer. Bien l’entretenir était vital, on était tributaire de sa bonne santé ! Beaucoup plus tard, vers le xviiie siècle, avec les découvertes de Pasteur, l’essor de l’hygiénisme et la peur des microbes, la levure – plus stable et plus rapide – s’est imposée. On a progressivement oublié le levain.

Quand le levain maison est-il revenu dans l’air du temps ?

La fermentation fait son grand retour dans nos cuisines depuis une dizaine d’années. Simple et ludique, elle permet d’améliorer certains ingrédients du quotidien et de les rendre extraordinaires. Durant le confinement de mars 2020, on a tous été témoins du recours au fait maison, et notamment au levain. Ce retour à la matière et à la simplicité a probablement été nécessaire pour beaucoup d’entre nous. Le pain est un symbole de vie et de santé, il nourrit le corps comme l’esprit. Dans une période marquée par l’incertitude, le fait d’être autonome dans la confection de pain au levain rassure. Avec simplement de l’eau, de la farine et du sel, chacun peut donner naissance à du vivant. Pour se sentir bien, il suffit d’observer le cycle du levain, ses respirations et les petites routines concrètes, faciles et efficaces que l’on met en place pour l’entretenir.

Mais pourquoi est-il aussi méchant ?

En nommant mon podcast « Vilain levain », j’ai opté pour le second degré histoire de dédramatiser les microcrises liées au levain. Le levain n’est pas vilain, mais il ne se comporte pas toujours comme on le souhaiterait. Il a besoin de temps et d’attention. On est sur une préparation qui prend 5 ou 6 jours, un temps très long en cuisine qui peut dérouter au départ. J’apparente cela à une activité thérapeutique qui oblige à lâcher prise et à analyser son rapport à l’échec. Le levain nous réapprend à observer, à prendre le temps, à travailler avec lui en nous adaptant.

Faut-il avoir une âme de vétérinaire pour s’occuper d’un levain au quotidien ?

Je ne pense pas qu’il faille aller jusqu’à la comparaison avec l’animal de compagnie, mais il faut être prêt à s’en occuper un minimum. Une fois tous les deux jours, au moins. Il est possible de mettre son levain au repos en le plaçant au frigo, mais pour moi cela n’a pas de sens. Mieux vaut profiter de tout ce qu’il a à nous offrir ! Et plus on apportera de soins à son levain, plus il nous le rendra. Le levain est une plus-value dans une cuisine, pas un boulet.

Lorsque l’on donne naissance à un levain, on aime lui donner un petit surnom affectueux. Que dire de ce réflexe anthropomorphique ?

Le mien s’appelle « Le vilain » ! Il est probable que cela nous aide à le prendre en affection et mieux nous en occuper. On sait aussi qu’un levain réagit énormément à son environnement : l’eau, l’air, nos mains, les habitudes de la maison… En boulangerie, on associe ses mouvements à des phases humaines, comme la naissance, la respiration, la mort, le fait d’être actif ou mou…

Faut-il avoir un doctorat en biochimie pour élever un levain ?

On peut très bien se satisfaire de la réaction première du levain sans chercher à aller plus loin. Je fais partie des gens qui aiment comprendre le fonctionnement biochimique des choses. Comprendre le biotope du levain permet de résoudre certains bugs, j’en fais état dans mon livre.

Faut-il constituer un couple fidèle et exclusif avec une seule variété de farine ?

Chaque farine a son identité et ses propres enzymes. Tout comme nous avons du mal à changer de régime alimentaire du jour au lendemain, lorsque l’on donne des habitudes à son levain, il est difficile de les changer. J’encourage donc à opter pour une farine bio T65 ou T80 et à en changer le moins souvent possible. Attention aux farines trop pauvres (T45 et T55) comme aux farines trop complètes (T130 et au-delà). De temps en temps, on peut booster son levain avec une farine différente pour lui donner un petit électrochoc. L’ajout de farine de seigle est particulièrement efficace !

Hormis du pain, que peut-on faire avec du levain ?

Le levain est un exhausteur de goût. Au-delà du fait qu’il serait dommage de gaspiller ses excédents, les réutiliser dans une recette de brownie, de muffins, de cookies ou de granola, par exemple, va permettre d’améliorer considérablement leur saveur comme leur texture.

Le levain confère au pain des qualités que n’apporte pas la levure. Lesquelles ?

La levure de boulanger, Saccharomyces Cerevisiae, ne peut développer à elle seule tout un bouquet de flaveurs. Les saveurs et les arômes du pain sont démultipliés par le processus de fermentation au levain. Il améliore également la texture du pain en retenant son humidité. Le pain sèche moins vite et se conserve beaucoup mieux.

Qu’est-ce qui fait de lui un allié de notre santé ?

Le pain au levain est beaucoup plus digeste que le pain à la levure, car il exige un temps de fermentation plus long. Confectionner du pain au levain prend entre 6 et 8h. Ce processus permet une sorte de prédigestion, en dégradant notamment le gluten. Sur des fermentations courtes, le gluten est encore très présent, avec des agglomérats de protéines conséquents qui causent des inconforts digestifs. Lorsque l’on fait du pain complet maison, c’est souvent parce que l’on fait attention à sa santé. Or, on oublie que les farines complètes contiennent dans leur enveloppe de l’acide phytique, chargé de protéger la céréale, qui nous empêche au passage de profiter de ses apports nutritifs. La fermentation permet de dégrader cet acide et de profiter de tout ce que les farines complètes ont à nous offrir.

Faut-il s’équiper pour faire du pain au levain ?

Pas du tout. Mon approche est très inclusive, j’ai laissé de côté les protocoles complexes impliquant des équipements spécifiques. Un bocal, une balance, une passoire et un torchon suffisent.

Deux mots sur votre podcast, « Vilain levain » ?

Il traite des bénéfices de la fermentation en général, mais aussi des petites aventures que l’on peut avoir avec un levain. J’ai la volonté de vulgariser son usage en expliquant que l’on a tous à y gagner. Vive le levain pour tous !

CC

Retrouvez Valérie Zanon sur son blog (www.lecoconutblog.com) et son compte Instagram (@vilainlevain). Écoutez son podcast sur podcast.ausha.co/vilain-levain-la-bande-annonce.