Le passé, le présent et l’avenir
Le passé…
Dans votre magasin, on peut contempler une exposition qui retrace l’histoire des conserveries de Saint Guénolé. Ce lien avec le passé semble avoir une importance capitale pour vous.
Océane Alimentaire occupe un bâtiment historique construit par le conservateur Cassegrain en 1880. A l’époque, les vagues venaient heurter ses murs les jours de tempête… Au fil du temps et par étapes successives, le port tout entier s’est construit à ses pieds en avançant sur la mer. Ce sont les conserveries de poisson qui ont constitué le moteur de cette évolution. Il faut savoir qu’avant l’arrivée des entrepreneurs nantais, Penmarc’h était un petit bourg paysan. Ces hommes étaient des aventuriers : ils ont tout construit ici, alors qu’il n’y avait aucune route… Et ils ont réussi ; pendant un siècle, le village de Saint Guénolé s’est enrichi grâce à la pêche à la sardine et sa mise en conserve, jusqu’au déclin de l’activité dans les années 1970. C’est toute cette histoire que nous avons voulu retracer à travers l’exposition*.
* Gilles Le Guen a également écrit deux ouvrages publiés aux éditions Palantines sur l’histoire de Penmarc’h : Penmarc’h: qui se souvient des hommes ?, 1850-1900: reine sardine, nous te saluons !, et Le temps des luttes, 1900-1950.
Que s’est-il passé pour que les conserveries périclitent ?
Elles ont été victimes de leur système de fonctionnement. A force de grandir, elles n’ont plus trouvé suffisamment de poisson issu de la pêche locale et ont commencé à importer du poisson pêché à l’autre bout du monde. La qualité des produits s’en est considérablement ressentie, et le lien avec la vie du port a été rompu. Le travail des conserveries ne reposait plus sur la logique de départ, et elles se sont cassé la figure. Ce sont les dérives du passé… Pour certains industriels, ce sont encore celles du présent. Pour nous, elles ont servi de leçon.
… Le présent…
Dans ce contexte, pourquoi avoir choisi de créer une conserverie de poisson ici même, vingt ans plus tard ?
Le poisson est là ! Saint Guénolé est le premier port sardinier de France. En 1992, lorsque mon épouse et moi nous sommes trouvés à un tournant de nos carrières professionnelles, nous avons fait le choix de rester au pays et de mettre en place une activité en symbiose avec le lieu en valorisant le produit de la pêche locale. Nous avons commencé par vendre notre petite production sur les marchés, puis nous avons été happés par l’âme de Saint Guénolé… Nous avons racheté le bâtiment pour y installer notre entreprise en 1999. Nous avons voulu réinsuffler de la vie dans ces murs, leur redonner du sens, rétablir le lien entre le présent et le passé proche.
Comment résumer l’esprit d’Océane alimentaire ?
Dans ce bâtiment, Cassegrain employait 250 personnes. Nous sommes 15 aujourd’hui… Nous avons volontairement dimensionné notre entreprise pour rester dans notre logique de départ. Nous dépendons de la pêche du jour, à laquelle notre atelier modulable peut constamment s’adapter. Nous avons choisi de travailler manuellement pour pouvoir réaliser des micro-productions et passer facilement de l’une à l’autre. Cela demande beaucoup de souplesse, mais le personnel partage notre vocation. Le travail est plus modéré l’hiver (saison des tempêtes), très actif l’été. C’est un rythme qui convient aussi à la nature humaine… Nos fabrications ne sont pas vendues en grande distribution, nos objectifs sont à l’opposé du quantitatif et du nivellement par le bas. Nous proposons de vrais produits du terroir, hommage aux gens de la mer – pas un terroir de supermarché !
On a le sentiment que vos produits véhiculent un message…
Pour nous, l’acte d’achat est comme un vote : il cautionne un système ou un autre. Nous avons à coeur d’expliquer aux consommateurs que rien n’arrive facilement dans les assiettes. Il est rarissime, dans notre métier, d’utiliser uniquement du poisson sauvage, frais, local et issu d’une pêche durable. Nous avons mis nos produits dans des pots de verre pour des raisons écologiques, mais aussi parce qu’il est synonyme de transparence. A travers lui, on peut apprécier la teinte délicate du poisson.Sur l’étiquette, on pourra prendre connaissance de l’utilisation d’ingrédients bio, du nom du bateau qui a ramené la sardine, de la date de fabrication. Donner ces informations relève de l’honnêteté envers les clients. Ceux qui viennent nous voir pourront même observer la production à travers un hublot au centre du magasin. Nous sommes transparents…
Quand on arrive sur le port de Saint Guénolé, on est saisi par la place centrale qu’occupe la conserverie, à laquelle est jouxtée une crêperie dont vous êtes propriétaires. Depuis peu, vous avez aussi ouvert un restaurant juste en face. Vous avez amené beaucoup d’emploi et d’animation sur le port…
Les gens de Saint-Gué n’ont pas besoin d’artifices, l’air et le poisson suffisent à les nourrir. Mais il faut bien gagner sa vie, et c’est l’activité du port qui fait vivre les gens d’ici. En réhabilitant l’ancienne conserverie, nous avions à coeur de devenir des acteurs de la vie du village. Les investisseurs ne viendront pas ici, c’est à nous de construire l’avenir… Nous avons une fonction commerciale importante qui se réalise à travers l’achat du poisson local et l’attractivité que nous offrons d’un point de vue touristique.
… Et l’avenir.
Vous avez tiré les leçons du passé, mais l’avenir de la pêche n’est pas très enthousiasmant. Comment envisagez-vous le futur ?
La matière première va forcément décroître. Localement, il n’y aura pas de poisson pour tout le monde. En tant que petite structure, nous espérons avoir la souplesse nécessaire pour nous adapter à ce que l’océan continuera à nous donner. L’offre devra se diversifier, nous nous dirigerons probablement vers d’autres variétés disponibles. Il y aura toute une éducation du consommateur à mettre en place. Je suis persuadé que nous sommes très loin d’avoir étudié toutes les richesses de l’océan. Pour moi, l’avenir appartient aux petites entreprises basées sur des recherches pointues, qui sauront tirer parti des ressources renouvelables. Les grosses industries ne peuvent qu’aller à la dérive…
Le poisson d’élevage sera peut-être une solution temporaire au problème de la faim et du manque de protéines, mais c’est une pratique qui mène à de nombreuses impasses. La fabrication des granulés servant à nourrir les poissons en cage, par exemple, nécessite d’utiliser des kilos et des kilos de tous petits poissons, ceux qui sont en début de chaîne alimentaire. Pour obtenir un kilo de poisson d’élevage, on utilise trois kilos de poisson de mer… C’est aberrant.
Au-delà de ça, c’est la pêche en tant que telle qui a besoin d’évoluer. On ne peut plus pêcher en masse et avec des milliers de litres de gasoil comme le font encore certains chalutiers. Il faut inventer des bateaux qui consomment peu d’énergie, qui avancent grâce au soleil et au vent. Ils ne prendraient le large que lorsque cela en vaut la peine, et ne reviendraient jamais bredouilles. L’avenir est encore à imaginer… Il est entre les mains d’une autre génération de gens de la mer
CC