Jérôme Féral, fondateur de l’entreprise Croustisud, est tombé dans le bio sous le coup de l’évidence, mais sa passion numéro un, ce sont les machines. Ingénieur-mécanicien de formation, il vit connecté à la technique et à la recherche fondamentale. Avant de penser produit fini, il pense donc… procédé ! D’abord fondateur d’une société créatrice de machines pour la transformation des fruits tropicaux en jus et en fruits séchés, il en vient à s’intéresser à la problématique de la friture et à ses inconvénients sur le plan nutritionnel. Chauffées trop fort, les matières grasses se dégradent et produisent des composés toxiques, les acrylamides. Certains corps gras en produisent plus que d’autres, mais qui dit gras (même en faible quantité) et forte température, dit acrylamides.
La piste de réflexion était large et Jérôme Féral s’y est engouffré avec l’enthousiasme du technicien-chercheur : Comment conserver l’intérêt de la friture (rapidité, croustillance, appétence) tout en respectant une température qui ne dégrade pas la matière grasse employée, soit moins de 120 °C*? Sachant que lorsque l’on frit des produits riches en hydrates de carbone, comme les légumes racines, carotte et betterave en tête, on est confronté à la réaction de Maillard : autrement dit, ça crame, et rapidement ! Ceci dit, en chauffant moins fort et plus longtemps, ça ne crame plus… mais on obtient un produit mou et gorgé d’huile.
Une cuisson au four ? Oui, mais cela prend des heures et la croustillance s’en ressent. La solution : une machine qui permet de frire rapidement mais à température peu élevée, grâce à un système de friture sous vide d’air puis de déshuilage unique en son genre. Il fallait l’inventer, ce fut chose faite ! Le résultat, ce sont des pétales qui conservent le goût et la couleur du légume et qui croustillent joyeusement, avec un taux de matières grasses beaucoup moins élevé que celui des chips classiques (entre 24 et 35%, contre 35 à 40% pour des chips classiques, qu’elles soient industrielles ou artisanales). Autre bon point : les huiles de cuisson n’étant pas altérées, nul besoin de les retraiter.
Une fois la machine mise au point, reste à l’utiliser. Jérôme Féral pense tout d’abord aux plus grands consommateurs de friture, à savoir les chaînes de fast-food. Des tests sont menés, ils sont concluants, mais le saut technologique est trop important et le changement ne sera pas mis en place. Jérôme Féral s’oriente alors vers la fabrication de chips de légumes et décide de les faire lui-même. Consommateur de bio, conscient que sa machine permet d’obtenir un produit d’une grande qualité gustative et nutritionnelle, il voit comme une évidence le fait de produire bio. Il se lance sur un test à toute petite échelle en s’associant avec un fabricant de soupes bio ardéchois qui lui prête un atelier dans lequel il fabrique quelques cartons par jour. Un jour, il envoie quelques paquets à Satoriz, qui déguste, apprécie, décroche le téléphone… et passe commande avec enthousiasme pour la totalité des magasins ! Coup de chaud et panique à bord : il faut mettre sérieusement la main à la pâte pour répondre à la demande de la clientèle, enthousiaste elle aussi, et plus d’un an pour que l’entreprise se structure et investisse dans un bâtiment. Chez Croustisud, chaque légume et chaque pétale passe dans les mains d’un opérateur. Après carotte, betterave et patate douce, se sont ajoutés panais et céleri. On travaille en direct avec des producteurs, uniquement des produits frais et de saison, que l’on n’épluche pas. La betterave vient du Loiret, la carotte des Landes… Le résultat final, ce sont des pétales croustillants et goûteux, frits à l’huile de tournesol oléique, sans sel ajouté. On aurait pu appeler ça des chips, mais donner au produit un nom rien qu’à lui permet de souligner son côté unique. Et si on a mis au point un produit aussi bon, ce n’était pas pour l’arroser de sel…
Devenir lui-même producteur de ses légumes ? Jérôme Féral y réfléchit sérieusement ! En attendant, côté innovation, il ne chôme pas : toute l’équipe passe une bonne partie de son temps à tester tous les légumes qui leur passent sous la main. Pour être retenu, le légume doit passer le test du goût, de la couleur et de la forme. Si c’est très bon mais fragile et tout riquiqui, c’est tant pis… Les légumes racines sont prédestinés car ils ont un taux de matière sèche très important. Avec un légume aqueux comme la courgette, c’est tout le contraire : c’est bon, mais très compliqué à travailler !
Aujourd’hui, c’est fête chez Croustisud : Sato vient en visite et on inaugure une nouvelle machine, évidemment “maison”, unique et encore plus performante que la précédente. Cinq ans de recherche ont été nécessaires pour la mettre au point… Mais désormais, l’entièreté du process se déroule sous vide, phase de déshuilage inclue, ce qui évite aux opérateurs la manipulation de paniers de friture, particulièrement pénible. Le produit final est encore meilleur qu’avant, avec une teneur en matières grasses légèrement diminuée et des pétales moins recroquevillés sur eux-mêmes. Merci pour ce souci du détail !
Mais maintenant que la nouvelle machine est en place, Jérôme ne risque-t-il pas de s’ennuyer ? Pensez donc, le voilà déjà lancé sur un programme de recherche fondamentale visant à comprendre la chimie de la friture… Que se passe-t-il en fonction de la matière première utilisée ? Sachant que chaque récolte de carotte est différente, comment maîtriser température, durée et pression durant la cuisson ? Quels seront les impacts sur la croustillance, le craquant, la couleur, la forme, le taux de matières grasses et l’âge du capitaine ?
Et quand Jérôme ne dort pas la nuit, eh bien… il s’occupe avec un autre programme de recherche sur la valorisation des déchets de l’entreprise, déjà réduits à portion congrue. L’atelier ne sent pas la friture, rejette très peu d’huile et assez peu d’eau, mais pourquoi ne pas en faire quelque chose ? On va trouver… Bonne nuit, Jérôme !
CC