Un regard rapide et distrait résumera certainement la cerise à un petit fruit rouge de printemps, aperçu furtivement dans l’arbre du voisin et plus rapidement encore sur nos tables. Elu par les poètes et les rebelles, ce fruit a évidemment une autre dimension qui est celle du renouveau, de la jeunesse et de la liberté. Celle du beau merle à bec jaune et des gamins qui se gavent en riant ; celui de la ferveur du hanami* japonais, grave et joyeuse célébration du printemps, sous les toits blancs des sakura**. Et puis bien sûr, elles aiment tant se balancer aux oreilles des jeunes filles, comme de délicates perles de sang neuf… Oui, oui, tout cela explose dans notre cerise bio ! Et justifie les efforts qu’exige cette difficile culture…
* le hanami est au Japon une coutume printanière de contemplation des fleurs, celles du cerisier en particulier.
** les sakura : les cerisiers en fleurs
La cerise est une prune, la plus précoce d’entre toutes, plus longuement pédonculée que ses parentes certes, mais belle et bien cousine de la mirabelle. Ce qui, tout bien réfléchi, n’est pas si surprenant.
Comme cette dernière, elle ne s’apprécie jamais mieux que cueillie dans l’arbre, pour le délicieux privilège d’en cracher le noyau au vent, le plus loin possible… ou pile au creux d’une boite de conserve.
Pour tous ceux qui n’ont pas la chance de voir pousser un cerisier au fond de leur jardin, il reste heureusement le dévouement et l’abnégation de quelques arboriculteurs que n’effraie pas la menée de cette culture en bio. Car du courage, il en faut ! Dans la famille des fruits à noyaux, plus réputée pour sa délicatesse que sa rusticité, notre cerise a choisi d’apparaître au printemps, saison toujours instable, voire incertaine. Fleurs et fruits se succèdent dans l’urgence sans prendre le temps d’une maturation longue, à l’instar des prunes, pêches et abricots. Tout cela complique considérablement la tâche de l’arboriculteur !
Les bons choix se doivent d’être faits dès la plantation et la mise en forme du verger : sélectionner les bons porte-greffes qui permettront de former un verger « piéton », pour une cueillette depuis la terre ferme, une passerelle ou un escabeau roulant. Taille en gobelet (parapluie renversé), en tube, en drapeau marchand (palissage où les tiges sont menées à l’oblique), jamais en fuseau car notre cerisier n’aspire qu’à s’élever vers les nuages. Faire en sorte que chaque fruit capte le plus de lumière, sans se dérober pour autant à la main du cueilleur.
Vous l’avez deviné, ce fruit est difficile, délicat et long à cueillir. A bien cueillir, s’entend, car une cerise entière se doit d’être accompagnée de sa longue queue, voire reliée à une autre, pour une présentation telle qu’on la souhaite. Selon Pierre Lespets de Loriol, un bon cueilleur décrochera 8 kilos de cerises par heure. Puis viendra le passage sur le banc où de délicates mains trieront tout cela pour composer de jolies caissettes. Nul besoin de calculette pour comprendre ce que représente la main d’oeuvre dans le prix de revient du fruit. Faciliter la cueillette donc, et conjointement s’assurer d’une bonne productivité. Que les manchons blanc neige de la floraison deviennent de lourdes tresses rouges, formées par des billes de beau calibre, qui n’aient pas que la peau sur le noyau. Comme dans les autres vergers bio de fruits à pépins ou noyaux, pas de forçage à grand renfort de fertilisants. C’est dans l’équilibre que se développent nos fruits, avec juste ce qu’il faut d’apport en matière organique. Les volumes récoltés sont plus étroitement liés aux variétés. Nicolas Reuse, dans ses terres gardoises, débute avec Primulat puis Burlat, Early Star fermant le début saison. Viennent ensuite la belle et réputée Folfer, la Ferdouce, la Grace Star et la Black Star.
Qu’il est doux d’établir puis de suivre un calendrier… Tous les producteurs en rêvent. Mais s’ils ont certainement déjà vécu pareille époque, ils ne s’en souviennent pas tous. Pour simplifier, nous ne parlerons ici que des deux fléaux principaux qui affectent la cerise (laissant de côté merles, corbeaux et autres oiseaux sans ailes). La pluie tout d’abord, avec son effet dévastateur sur l’épiderme fin et tendu des fruits mûrs, qui va se fendre après l’averse. Si, par bonheur, certaines variétés résistent mieux que d’autres, ce risque demeure une hantise pour Pierre et Nicolas – eux qui ne récoltent qu’à pleine maturité, quand le fruit est très fragile.
Les insectes s’en mêlent aussi évidemment, avec la très connue et redoutée mouche de la cerise, accompagnée depuis quelques années de la mouche drosophyle Suzukii, qui va aussi vers d’autres fruits à noyaux. Ces parasites pondent au coeur du fruit en cours de maturation un oeuf d’où naîtra un petit asticot blanc, hôte fréquent des bigarreaux par exemple.
Le vol tardif de ces bestioles épargne plutôt les variétés précoces mais le coeur de saison est largement touché. La lutte en bio se concentre sur le piégeage et la recherche d’auxiliaires prédateurs. En conventionnel, des insecticides radicaux sont utilisés mais leur application obligatoirement tardive pose problème : les règles d’utilisation tolèrent un délai minimal de 21 jours entre l’aspersion et la récolte, soit à peu près la durée du cycle de la mouche. Pas rassurant, tout ça !
Voici donc ce à quoi vous avez échappé lorsque vous savourez ces petites « prunes » rouges indemnes de défauts et de « protéines » : chapeau bas à nos amis, toute cette énergie n’aura pas été dépensée pour des queues de cerises !
Alain Poulet