OGM : où en sommes-nous ?

Le débat paraît ancien, voire dépassé : les Organismes Génétiquement Modifiés, on a dit non il y a vingt ans. Alors pourquoi en reparler aujourd’hui ? Christophe Noisette est membre fondateur d’Inf’OGM, association qui publie de l’information indépendante et critique sur la question et que Satoriz soutient depuis plusieurs années. Il nous explique pourquoi la question des OGM ne doit jamais cesser de nous mobiliser.

 

© Sarah Escola

Entretien – Christophe Noisette

Présentations

Qu’est-ce qu’Inf’OGM et quelle est sa mission ?
Inf’OGM est une association née en 1999 du besoin d’avoir un outil de veille en français pour éclairer la société civile sur la problématique des OGM. Nous avons d’abord créé un journal construit autour de brèves courtes et efficaces, façon revue de presse. Puis nous avons grandi : journalistes, nous menons aujourd’hui des enquêtes et publions des articles conséquents. Notre position est critique, mais elle ne l’est jamais à mauvais escient. Nous sommes une petite équipe de six personnes, financée par des fondations privées, des entreprises du monde de la bio comme Satoriz, et quelques subventions publiques.

Comment définit-on un OGM ?
La définition européenne dit qu’il s’agit d’ »un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle » (directive 2001/18). Cela englobe plusieurs techniques de modification : la transgenèse, celle que nous connaissons le plus, mais pas seulement.

Quels sont les végétaux concernés ?
Les OGM transgéniques les plus répandus sont le soja, le maïs, le coton et le colza. Ils représentent 98 % des OGM transgéniques cultivés dans le monde.

Où sont-ils cultivés ?
85 % des OGM transgéniques sont produits en Amérique du Nord et latine, principalement par les États-Unis, le Brésil, l’Argentine et le Canada. L’Amérique latine est complètement contaminée par les OGM : en Uruguay et au Paraguay, 100 % du soja est transgénique. Sur le coton, on trouve surtout la Chine et l’Inde 95 % des surfaces de coton sont en OGM). Au total, 28 pays cultivent des OGM, dont certains sur de très petites surfaces, comme le Bangladesh qui cultive quelques centaines d’hectares d’aubergine transgénique.

 

Qui les commercialise ?
Historiquement, c’est la recherche publique qui a mis au point les OGM dans les années 1980. Mais ce sont depuis longtemps les semenciers privés qui gèrent la question : Bayer-Monsanto, Syngenta-ChemChina, Dow-Dupont. Ce sont des chimistes, les mêmes qui ont mis sur le marché les herbicides et les pesticides. La majorité des OGM sont des plantes modifiées de manière à supporter de fortes pulvérisations d’herbicides. Monsanto a inventé le Roundup et l’OGM qui lui résiste, le Roundup Ready. Les OGM n’ont jamais été pensés pour la nutrition, ni même pour les rendements. Ce sont des auxiliaires technologiques, point. Ils ont été adoptés sur de grandes surfaces car cela devait simplifier les pratiques culturales : un passage de tracteur en moins, du glyphosate partout. Dans un premier temps tout du moins, avant que les agriculteurs ne soient pris en otage par la technologie et que les adventices ne tolèrent les herbicides. Il faut donc acheter la nouvelle semence, plus chère, bien entendu.

 

Étiquetage

Comment savoir si j’en mange ? Sont-ils forcément étiquetés ?
Il existe plusieurs législations au niveau mondial. L’Union européenne dispose de la plus intéressante : tous les végétaux transgéniques doivent être étiquetés. L’UE ne produit pas d’OGM mais elle en importe (principalement soja et coton). Le soja importé sert à nourrir le bétail. Un éleveur peut savoir qu’il nourrit son bétail avec un soja transgénique, mais pas le consommateur puisque la loi européenne exempte d’étiquetage les produits issus d’animaux nourris aux OGM. On ne mange donc pas directement de soja transgénique, mais on le consomme à travers les animaux. Une autre grande exception, c’est la restauration collective, à laquelle l’Europe n’impose aucun devoir de transparence.

Quid des additifs et autres auxiliaires technologiques que l’on retrouve dans de nombreux produits alimentaires ?
C’est la troisième exception : celle des micro-organismes. Un certain nombre de substances sont produites à partir de levures ou de bactéries GM et échappent aujourd’hui à l’étiquetage. Actuellement, Inf’OGM mène une enquête visant à les identifier. Pas gagné ! Nous ne cherchons pas à mettre des filières dans la panade, mais il nous paraît important de proposer des alternatives.

Comment justifier ces exemptions d’étiquetage ?
Elles sont dues à la réaction du consommateur : s’il voit marqué « OGM », il boycotte. En Europe, on a fixé un seuil de tolérance à 0,9% par ingrédient, quel que soit le poids de cet ingrédient dans la composition du produit. Et depuis la mise en place de l’étiquetage pour les végétaux on ne retrouve quasiment plus de tels produits dans les étals… Mais la viande issue d’animaux aux OGM reste très largement répandue incognito.

Est-ce qu’un aliment bio est forcément sans OGM ?
Oui : la philosophie de l’agriculture bio est contraire à celle des biotechnologies. Il existe une tolérance de 0,9 % par ingrédient qui a été récemment ajoutée au règlement bio. Elle a été réclamée par la filière bio canadienne, confrontée à des problèmes de contamination sur le colza, culture extrêmement difficile à maîtriser. Soit ladite filière acceptait ce seuil de contamination, soit elle mourait… Cette présence, si elle est constatée, doit être fortuite et techniquement inévitable : le producteur doit prouver qu’il a tout fait pour éviter la présence d’OGM dans son produit. Il arrive que l’on retrouve en France des OGM transgéniques là où ils sont interdits, même à l’importation. Tous les champs détectés doivent alors être détruits – s’ensuit une bataille juridique pour savoir qui doit payer qui, et c’est généralement le paysan qui trinque ! À partir du moment où il y a des OGM transgéniques dans le monde, il y en a dans tous les produits : la contamination a lieu au champ, au moment du transport… On ne sait pas faire des filières complètement étanches, et qui les payerait ? Mettre en place des mesures trop strictes, c’est condamner certains producteurs. Heureusement, dans le milieu du bio français, il y a un haut niveau de vigilance et de vrais contrôles réalisés par des instituts indépendants.

 

Complexité

Qu’appelle-t-on « les nouveaux OGM » ?
Revenons un peu en arrière : on connaît bien les OGM issus de la transgenèse, auxquels nous avons dit non dans les années 2000. La transgenèse consiste à insérer une séquence d’ADN d’un être vivant dans un autre être vivant en s’affranchissant de la reproduction sexuée. Cette méthode a choqué l’opinion car elle permet de franchir la barrière des espèces, de mettre du poisson dans les fraises. Mais les tout premiers OGM sont des plantes issues d’une autre forme de manipulation, la mutagenèse. Or s’il n’existe qu’une seule transgenèse, il existe plusieurs mutagenèses. Depuis les années 1930, on fait de la mutagenèse in vivo, c’est-à-dire sur des éléments vivants (plantes ou graines entières), au moyen de la radiation nucléaire ou de produits chimiques. En gros on prend une graine et on la bombarde d’agents mutants extérieurs. Cela ressemble un peu à ce que fait la nature dans le sens où c’est le génome entier de la graine qui va devoir s’adapter à une pression extérieure. C’est non naturel, mais on utilise les mécanismes du vivant, c’est pourquoi cette forme de mutagenèse a été exemptée de la directive européenne de 2001, qui s’est concentrée sur les OGM transgéniques. À l’époque, il y avait déjà plus de 3 000 variétés de plantes mutées répertoriées et le législateur trouvait trop compliqué de les évaluer, étiqueter, autoriser… Il a préféré les exempter en utilisant cette formule : « il y a une historicité d’utilisation sans risque » de la mutagenèse in vivo. Cette absence de risque est supposée, voire incantatoire car aucune évaluation n’a été faite. La vraie raison de cette exemption est économique et technique.

On devine qu’il existe aujourd’hui un autre type de mutagenèse…
Dans les années 2000, les laboratoires ont commencé à faire de la mutagenèse in vitro sur cellules isolées. On est ici beaucoup plus proche de la transgenèse. On découpe le vivant en rondelles, on extrait des cellules qui ne peuvent se reproduire par elles-mêmes et on régénère des plantes à partir de ces cellules en utilisant des hormones. Toutes ces étapes connexes à la mutagenèse en tant que telle modifient le vivant et peuvent avoir des effets sanitaires et environnementaux non désirés. En juillet 2018, la Cour de Justice de l’UE a arrêté que les produits issus des nouvelles techniques de mutagenèse devaient être réglementés comme ceux issus de la transgénèse. Depuis, c’est le branle-bas de combat chez les industriels, les semenciers et les politiques pour casser cette décision susceptible de donner un coup d’arrêt à leurs nouveaux OGM. L’enjeu est énorme ! Normalement, un arrêt est d’application immédiate. Or on sait que l’ensemble de l’UE cultive des OGM issus de la mutagénèse moderne. Une transparence est indispensable, mais pour l’instant c’est l’omerta la plus totale.

 

Environnement

Quelles sont les conséquences des OGM sur l’environnement ?
C’est assez compliqué à évaluer. La plupart des OGM servent à tolérer les herbicides. Au fil du temps, les adventices (mauvaises herbes) deviennent de plus en plus résistantes aux produits. Il faut alors mettre plus d’herbicide, en utiliser un autre, plus toxique… On connaît l’impact de cette chimie sur la faune, la flore et les micro-organismes du sol. Les plantes Bt, quant à elles, produisent un insecticide. De la même manière que les adventices, les insectes-cibles sont devenus résistants. En réaction, on constate une augmentation de la capacité de la plante à produire encore plus d’insecticide. Puis se pose la contamination de la faune et de la flore : que deviennent les transgènes une fois qu’ils se sont échappés ? Est-ce que les maïs Bt attaquent également des insectes non cibles et nuisent à la biodiversité ? A priori, oui. Le souci, c’est que l’on manque d’études indépendantes. Il est très compliqué d’avoir accès aux OGM, de pouvoir les tester et de publier des résultats. Nous avons des intuitions concernant le soja Roundup Ready, qui demanderait une utilisation massive d’engrais afin de maintenir son rendement, mais ces soupçons ne sont pas encore validés scientifiquement.

Quels sont les dangers des OGM pour l’agriculture bio ?
L’agriculture bio et les OGM sont dans une incompatibilité paradigmatique : l’OGM fonctionne sur un mode action / réaction, tandis que le bio est sur une vision écosystémique. Si un parasite est envahissant, pour l’agriculteur bio il s’agira d’un déséquilibre que l’on va chercher à rétablir. Quid si une contamination l’empêche de faire ce travail ? Si les OGM se répandent, les semences paysannes seront contaminées et finiront par être brevetées. Tout le travail du paysan peut être mis à terre si la variété qu’il utilise est contaminée. C’est ce qui s’est passé au Guatemala et au Mexique : certains maïs anciens ont été contaminés par des transgènes, ce qui a mis à mal la biodiversité locale.

Action

Comment les citoyens peuvent-ils se réapproprier un débat aussi technique ?
Ils peuvent lire le journal d’Inf’OGM, discuter, aller à des conférences. Il y a des gens qui se fichent du débat, ils refusent les OGM pour des raisons éthiques car ils ne veulent pas qu’on modifie le vivant. Et puis il y a ceux – paysans, élus – qui sont dans un combat technique et ont besoin d‘arguments précis.

Que peut-on faire ?
Manger bio ! Choisir des AOC ou des IGP qui refusent les OGM dans leur cahier des charges. Le consommateur peut agir en donnant raison aux filières qui les excluent. Ils peuvent convaincre leurs cantines scolaires de les bannir, aller voir leur élu pour réclamer des arrêtés anti-pesticides. Nos élus européens ont la main sur des lois qui favorisent ou limitent l’amplitude des brevets, mais ils ne peuvent pas forcément gérer tous les dossiers. Les citoyens informés et engagés peuvent les y aider. Il y a également tout un travail à faire pour que nos députés ne votent pas la loi de bioéthique, avec laquelle tout un pan de modifications est en jeu : elle pourrait admettre que des embryons homme / animaux soient autorisés dans la recherche, ce qui est inquiétant. Nos maraîchers aussi ont besoin d’être encouragés pour se tourner vers des semences paysannes et retrouver un savoir-faire qui leur permettra de mieux s’adapter au changement climatique. Ils le feront si nous sommes prêts à payer pour cela.

Un mot de la fin ?
Nous entrons dans une nouvelle période. Nous pouvions nous croire préservés, mais la bataille actuelle pour changer le cadre réglementaire européen est cruciale. Tout pourrait être mis à mal si ces nouveaux OGM venaient à être considérés comme non-OGM. Nous devons aboutir à une transparence qui permettra aux paysans de choisir leurs semences en connaissance de cause, et éviter que toute notre alimentation ne soit modifiée sans que personne ne le sache. Nous avons besoin d’un mouvement citoyen de la même ampleur qu’il y a vingt ans, disant : « nous n’en voulions pas en 1999, nous n’en voulons toujours pas en 2020 ! Nous voulons une alimentation à base de semences reproductibles, sans brevets ni modifications génétiques ».

CC