Produire avec le soleil

En 2016, Arnaud est ingénieur dans les énergies renouvelables. Aujourd’hui, il est « ingénieur artisan solaire » en Normandie. Grâce à son four solaire, il toaste des graines locales pour en faire des boissons et des apéros et il boulange de grandes quantités de pains au levain. Cette activité lui a déjà permis de salarier deux personnes en plus de son temps plein. Son objectif ? Permettre à chacun de dupliquer et d’adapter son modèle. Arnaud raconte son aventure dans un livre, La Boulangerie solaire, qui vient de sortir aux éditions Terre vivante.

Entretien | Arnaud Crétot, ingénieur artisan

Bonjour Arnaud ! Qu’est-ce qui vous a amené à devenir « ingénieur artisan » ?

Lorsque j’ai commencé mes études d’ingénieur, je pensais que je serais formé pour trouver des solutions aux problèmes. C’est pour cette raison que je me suis spécialisé dans le domaine des énergies. Mais une fois à l’école, j’ai compris que l’on nous formait plutôt pour travailler dans des entreprises qui contribuent au problème… J’ai choisi de faire une année de césure et je suis parti en voyage en stop avec un ami. Nous avons visité plus d’une soixantaine de projets énergétiques dans plus d’une vingtaine de pays, de la Norvège à la Russie, de la Roumanie à l’Inde. Des mines de charbon du Donbass jusqu’aux microbarrages hydrauliques des portes de l’Himalaya, des écovillages allemands aux champs gaziers de Snøhvit près de la mer du Groenland. Nous voulions savoir quelles options l’humanité avait pour l’avenir.

Quelles leçons en avez-vous retirées ?

L’idée principale, c’est que l’on a confié les problèmes environnementaux aux techniciens alors qu’il s’agit d’un problème social, humain. Le transport, par exemple, n’est pas un problème technique. C’est l’organisation sociale qui en fait un problème. On aura beau chercher mille innovations, si on a des modes d’organisation nécessitant moins de déplacements, le problème de l’énergie se résout bien plus efficacement que dans un laboratoire.
La deuxième leçon, c’est l’intérêt de la concentration solaire artisanale. Cette technologie est très peu connue et largement sous-exploitée. Or elle permet de produire de la chaleur directement sur place, et non pas de l’énergie décentralisée que l’on doit ensuite acheminer pour l’exploiter. En Inde, nous avons fait la connaissance d’une association finlandaise qui développe cette technologie notamment pour développer du petit matériel de transformation agricole autonome en énergie à destination des villages isolés. Nous avons eu envie de faire connaître leur démarche et de l’emmener un cran plus loin.

Pour cela, un deuxième voyage a été nécessaire…

À peine rentrés, nous sommes repartis en France pendant 3 semaines pour faire le tour du secteur agricole. Ces rencontres ont alimenté ma réflexion sur le modèle à choisir pour le monde de demain. J’ai ensuite repris et terminé mes études, puis exercé en tant qu’ingénieur dans un bureau d’études solaires où j’ai conforté mes convictions dans le domaine, puis une start-up nantaise pour laquelle j’ai écrit un algorithme d’optimisation du chauffage par un thermostat connecté. Cette expérience m’a, une fois de plus, montré les possibilités des solutions high-tech, mais surtout leurs limites. C’est là que j’ai cofondé l’entreprise Solar Fire avec l’équipe rencontrée en Inde. Nous commercialisons un four solaire qui permet de produire à un niveau professionnel. Chaque four est fabriqué sur place : en France, en Afrique…

Comment fonctionne un four solaire ?

Il se compose de matériaux peu onéreux et disponibles partout : des barres d’acier et du verre, parfois du bois à la place de l’acier. Il est réparable à l’infini. Les rayons du soleil, bien parallèles, se réfléchissent sur la surface de miroirs. Chaque miroir est réglé de façon à pointer vers le four qui monte ainsi en température. Tout au long de la journée, la machine est orientée pour rester face au soleil et à compenser ses variations de hauteur. C’est tout !

Est-il possible d’en construire soi-même ?

L’objectif de Solar Fire est que ce modèle soit diffusé le plus largement possible. Nous commercialisons les fours à usage professionnel, qui doivent répondre aux normes européennes, mais les plans de montage du four domestique sont accessibles (payants) sur notre site.

Vous êtes devenu artisan grâce à cette technologie. Pourquoi avoir mis la main à la pâte ?

Nous fabriquions des fours à pain solaires sans savoir faire de pain ! Par cohérence, j’ai voulu me réapproprier l’activité derrière la machine. Je me suis formé auprès de paysans boulangers et j’ai passé le CAP en candidat libre. En démarrant la boulangerie, puis avec la création de NeoLoco en 2019 et la torréfaction solaire, j’ai réuni toutes mes préoccupations. Aujourd’hui, je me sens beaucoup plus ingénieur en étant artisan.

Produire avec le soleil, qu’est-ce que cela implique ?

On confectionne un pain au levain à base de farines bio locales, pétri à la main, cuit au four solaire et livré à vélo. Nous n’avons pas de chambre froide, pas de pétrin mécanique. Aucune machine n’entre dans la préparation des pains. Côté torréfaction, c’est un succédané de café à base de lentilles vertes normandes et bio torréfiées au solaire, des épices de lin, des graines apéro pour remplacer les cacahuètes. Il n’y a pas de boutique mais deux points de ventes autogérés : les personnes viennent chercher le pain à n’importe quelle heure et payent dans une « boîte à sous » à disposition. Le reste du pain est livré à vélo à des magasins de fermes sur un axe de 18 km.

Peut-on produire du pain tous les jours ?

Ce n’est pas nécessaire. Comme le pain au levain se conserve, 1 ou 2 jours de soleil par semaine suffisent pour cette activité, complémentaire de la torréfaction. Grâce à notre four, 2 heures de soleil permettent de faire une fournée. Si le soleil ne montre pas du tout le bout de son nez, nous utilisons un four à bois. Côté torréfaction, nous produisons beaucoup plus en été et moins en hiver. Les produits se conservent un an, donc ce n’est pas un problème.

La production solaire est-elle viable partout, pour toutes les activités ?

Quand on part d’un modèle traditionnel, imaginer une entreprise fonctionnant avec des énergies intermittentes peut sembler impossible. Avec NeoLoco, nous montrons que le modèle est viable, mais qu’il implique de changer de vision et d’organisation. Dans l’artisanat solaire, tout le secret réside dans l’organisation de l’activité et la capacité à inventer, réinventer ou se réapproprier des pratiques à notre avantage. Nous avons mis en place une méthodologie pour transformer une activité en utilisant des énergies intermittentes. Elle est reproductible dans d’autres secteurs et à d’autres échelles. Les solutions que nous développons pourront fonctionner dans 50 ou 100 ans. Je les détaille dans le livre.

D’autres artisans travaillent-ils déjà comme vous ?

Nous avons formé plus de 80 artisan.es depuis début 2021. Dix activités solaires se sont déjà installées en France. La hausse du prix de l’énergie montre qu’il s’agit d’un modèle d’avenir. Dans un contexte inflationniste, je n’ai pas eu à augmenter le prix de mes produits pour répercuter les coûts de l’énergie. Même mes matières premières, toutes locales, ont peu augmenté. C’est passionnant de constater que les solutions visant à réduire les enjeux environnementaux et la dépendance à l’énergie fonctionnent également sur le plan économique.

Envie d’en savoir plus ?
La boulangerie solaire – Un exemple pour un futur radieux, d’Arnaud Crétot, est paru chez Terre vivante dans la collection Champs d’action.