Ne parlons que d’excellence, et essayons d’y voir clair. Chez les chocolatiers, on s’efforcera de distinguer les excellents chocolatiers, qui font un excellent chocolat, et les chocolatiers d’exception, qui… euh, sont plutôt rares, comme leur nom l’indique. En quoi leur travail diffère-t-il ? Leur chocolat est-il vraiment meilleur ?
Nous avions déjà rendu visite à Jean-Michel Mortreau chez Saveurs et Nature, en Vendée, à l’époque où, qu’il nous pardonne, il n’était qu’un excellent chocolatier. Ses tablettes auraient toutefois largement mérité d’être dans nos rayons, mais elles n’y étaient pas. Nouvelle visite, 18 mois plus tard, et là… Sur le derrière, le visiteur ! Le temps de se relever, et il comprend sa mission : à défaut de pouvoir photographier les odeurs et saveurs, il s’efforcera de vous expliquer que le travail ici fait est humble, vrai, profond, et pas loin d’être unique.
Voilà donc cinq ou six pages pour vous informer, mais ce ne sera finalement que du blabla : c’est sur votre palais que tout se passera, pour peu que vous ayez quelques euros à consacrer à un plaisir noble et pourtant accessible. Huit tablettes choisies sont aujourd’hui dans nos rayons.
Entretien : Jean-Michel Mortreau
Un terrain favorable
Jean-Michel Mortreau, très heureux de cette nouvelle rencontre ! Quelques mots tout d’abord pour résumer votre parcours ?
Je suis issu d’une famille ancrée dans le bio, puisque mon grand-père était agriculteur en biodynamie. Il a commencé dès 1962, en allant jusqu’au bout de la démarche ; il produisait de tout, et vendait lui-même à des consommateurs qui se déplaçaient pour faire honneur à son travail et ses produits…. Il a tout de suite compris l’énorme tromperie que véhiculaient les soi-disant techniciens agricoles, qui ne donnaient des conseils que pour mieux vendre leurs pesticides… Mais il était loin d’être passéiste, et pour l’anecdote, ce fut un des premiers à utiliser un tracteur dans le canton. Sa vision a imprimé toute ma famille. Mon père a poursuivi en produisant du blé, et aujourd’hui mon frère cultive en bio une partie de ces mêmes terres. On pense que ces parcelles n’ont jamais été traitées, ce qui ne doit pas être courant…
Vous n’avez donc pas travaillé en agriculture aux côtés de votre frère ?
J’ai pris une autre voie en commençant dans la commercialisation du café, puis en travaillant pour une entreprise de produits confits. Souvent sur la route, j’ai constaté qu’il n’était pas facile de manger une cuisine simple, faite avec de bons produits, et j’en suis donc venu à créer un concept de restauration 100% bio. Nous l’avons fait en conformité avec ce qui fut à l’époque le premier cahier des charges en restauration bio, en 2000. Pour chercher à rentabiliser ce qui n’était pas vraiment rentable, je fabriquais parallèlement des desserts, tartelettes, cafés gourmands et autres spécialités au chocolat, que je vendais au restaurant et aux magasins bio environnants.
Gourmand un jour…
Une passion, depuis toujours ! Je fais partie de ceux dont la mère était obligée de fermer les placards à clé, pour ne pas que je dévore tout en 5 minutes… Pour faire ces cafés gourmands, j’ai fait un stage en chocolaterie, et j’ai vraiment accroché. Parallèlement, les clients voulaient que je fabrique un peu plus, que je fasse des ballotins… Amédée, le responsable d’un magasin bio voisin m’en a commandé une grande quantité, et c’était parti… Mon épouse et moi avons vendu le restaurant en 2005 et nous avons démarré une activité de chocolatier, en pépinière d’entreprise.
Première embauche ?
Un jeune, chocolatier de formation, un an après. Il est actuellement responsable de l’atelier. Aurélie, qui est arrivée en même temps, est également toujours là aujourd’hui, et tous deux ont créé une belle équipe autour d’eux : 15 personnes en production dont 1 pâtissière, 13 chocolatiers de formation et un maitre chocolatier.
Avec une particularité concernant le travail en bio ?
Oui, le travail doit être plus précis, d’une part parce qu’on ne met pas de lécithine. On doit être plus vigilant pour tout ce qui concerne le tempérage du chocolat. Avec de la lécithine, la cristallisation peut se jouer à un degré près, voire à un degré et demi. Sans lécithine, c’est au demi-degré près. Nous n’utilisons aucune autre graisse végétale dans nos recettes, telles que l’huile de palme, l’huile de karité… c’est notre savoir-faire chocolatier qui permet d’obtenir des ganaches tendres qui se conservent. Enfin, nous n’utilisons jamais d’arômes. Nous faisons nous-mêmes nos jus, cuisons les fruits juste comme il faut, et surtout faisons tout pour respecter le principe numéro un de la maison : tout produit au chocolat doit d’abord avoir le goût du chocolat ! Ce qu’on rajoute éventuellement, fruit, épices, n’apporte qu’une subtilité.
Un excellent chocolatier…
Comment en êtes-vous venu à l’idée de vouloir travailler différemment le chocolat ?
Je suis vraiment amateur de chocolat. Je préfère de manière générale le travail des chocolatiers de centre-ville, qui cherchent et préparent de petits lots. Mais j’ai appris que pour faire du chocolat noir, on extrait une partie du beurre de cacao, qui est détournée pour fabriquer du chocolat blanc ou du chocolat au lait. On est donc obligé de rajouter un émulsifiant dans le chocolat noir, la fameuse lécithine, pour compenser ce retrait. J’ai vite compris que le chocolat qu’on faisait autrefois était meilleur, car tout le beurre de cacao initial de la fève était conservé. Et conserver tout le beurre de cacao de cette fève, c’est ce que j’ai voulu faire, d’entrée ; je n’ai donc jamais intégré de lécithine ! J’ai tout de suite perçu la différence au palais. Le goût est plus profond, les saveurs se révèlent plus rapidement, et la persistance du goût en bouche est beaucoup plus longue. Je considère de ce fait que la dégustation d’un carré de chocolat doit en appeler un deuxième, mais pas tout de suite ! Le premier doit avoir eu le temps de se révéler.
Le véritable chocolat est donc tout sauf un assemblage ?
Exactement, l’industrie désassemble le cacao et le beurre de cacao, retire une partie de ce beurre, puis tente de réassembler différentes sources de l’un et de l’autre, en ajoutant un liant pour compenser ce qui manque, la lécithine, présente dans énormément de produits industriels. C’est à ce moment-là aussi que certains ajoutent quelques pourcentages de graisse végétale. On le sent à la dégustation : c’est comme si le chocolat était plus cireux et devait être mastiqué plus longtemps pour se révéler. La longueur en bouche en souffre également. Pour ma part, je préfère garder le produit entier, et aller jusqu’au bout avec lui, sans essayer de rattraper ce qui a été perdu. J’irai jusqu’à dire que le vrai métier de chocolatier, ce n’est pas de donner l’impression : c’est de faire, réellement.
Quelle doit être la part de beurre de cacao dans le chocolat ?
C’est là toute la question : la loi prévoit qu’un chocolat “pur beurre de cacao” doit en contenir 31%. Mais il en manque, là ! Dans la fève de cacao, à l’origine, il y en a entre 45 et 50%.
…qui devient un chocolatier d’exception
Bien, bien… Un excellent chocolatier peut donc acheter de la “masse de cacao” sans lécithine ajoutée en bio, et c’est ce que vous faisiez depuis 10 ans. C’est déjà un beau gage de qualité. Mais ce qui vaut notre deuxième visite chez vous et l’arrivée de votre chocolat dans les rayons de Satoriz est le fruit d’une nouvelle étape, que vous allez nous décrire !
Oui, j’ai le besoin personnel d’aller au bout de chaque démarche. Lorsque j’étais restaurateur, je partais du principe que le client n’a pas d’étiquette sur son assiette. Il faut donc lui certifier la démarche bio du restaurant de A à Z, ce que j’avais fait. Pour le chocolat, je ressens le même besoin d’intégrité totale. Je souhaite faire plus que ce qu’on attend d’un chocolatier, qui travaille une “masse de cacao” que d’autres ont élaborée pour lui. J’ai voulu me confronter à l’étape qui précède, le travail direct sur les fèves : torréfaction, concassage, broyage, conchage, affinage… C’est une autre partie du métier mais pour moi, c’est la vraie chocolaterie, du début à la fin. Il nous a fallu prendre le temps d’apprendre, de trouver les machines…
Combien de chocolatiers savent faire ce travail en France ?
Industriels et artisans confondus, une quinzaine. En bio, je n’en n’ai pas vu d’autres que nous. Mais j’imagine que d’ici une dizaine d’années, il y en aura de nouveaux, fort heureusement.
Qui possède ce savoir sur la fève aujourd’hui ?
L’industrie, quasi exclusivement. Les écoles de chocolatiers n’enseignent pas ça. Déjà qu’on cache aux élèves le réel pourcentage de beurre de cacao qu’il y a dans une fève… Ces derniers savent faire des ganaches, des pralinés, des bonbons au chocolat, des moulages, ils savent travailler le sucre… Mais ce qu’il y a en amont, on ne leur enseigne pas, et ils n’en n’ont pas idée. Pour apprendre, nous sommes allés ensemble étudier la torréfaction à Bordeaux, puis en Italie, apprendre le conchage en Allemagne… La première fois que nous avons obtenu une “masse de cacao” par nous-mêmes, notre chef de production, Jean-François, pourtant chocolatier depuis 20 ans, avait les larmes aux yeux… Clément, notre responsable qualité , ne comprenait pas non plus ce qui lui arrivait… un moment fort.
Et on arrive donc au bout de votre démarche avec la création de votre nouvelle gamme “pure origine”.
Oui, l’idée, c’est que la subtilité est déjà dans le chocolat. Le cacao est une denrée agricole, il est cultivé par des gens différents, sur des sols différents, sous des climats différents. Ces producteurs récoltent plus ou moins à maturité, leurs fermentations se font différemment, le séchage aussi… Tout cela doit se retrouver dans le produit final. On le voit lorsqu’on reçoit les fèves, dès qu’on ouvre le sac : on doit s’adapter à chaque arrivage, et tenter de respecter les goûts différents des provenances de chaque pays. Prenons les fèves de Madagascar, c’est un véritable défi que de chercher à valoriser leurs saveurs naturelles avec leurs notes de fruit de la passion, citron, banane, et de faire en sorte qu’on les retrouve dans la tablette.
Un petit mot sur le choix de vos origines ?
Je ne voulais pas commencer avec deux ou trois origines, mais avec une véritable collection, pour le plaisir de découvrir des subtilités propres à chacune, et de les faire partager aux consommateurs. Nous avons retenu six provenances, proposées en 70% de cacao.
On ne le redira jamais assez, ces tablettes à 70% sont du concentré de fève avec du sucre, et rien d’autre. C’est rare !
Effectivement, à aucun moment nous ne séparons le beurre de cacao de la fève, ni ne rajoutons quoi que ce soit d’autre que du sucre, ou pas, dans le cas du 100%. C’est la meilleure manière d’avoir la véritable expression de la fève, et tout le travail que nous faisons, de la torréfaction au conchage, se fait pour respecter et révéler les arômes et caractéristiques de chaque provenance.
Le plaisir de partager
Nous ferons donc honneur à ces tablettes en décrivant les caractéristiques de chacune, mais peut-être pouvez-vous commencer par nous dire ce qu’on peut attendre d’elles, et nous orienter pour bien en profiter ?
A la vue déjà, on peut remarquer que le chocolat brille, et que les tablettes sont fines… A la dégustation, cette finesse des carreaux permet des sensations différentes. Quand on casse le chocolat, le bruit est franc et sec. En bouche, il fond facilement, et il n’est pas nécessaire de le mastiquer pour percevoir ses saveurs ; le produit les transmet tout seul, il n’y a pas besoin de les chercher ! Enfin, dix minutes après, on doit pouvoir se rappeler qu’on a mangé un carreau, car le goût est long en bouche.Pour ma part, j’en consomme dès le matin, mais en déguster après le repas, c’est un bon moment. Si c’est devant la télé, on s’extrait quelques minutes du programme pour l’apprécier ! Mais bon, je ne philosophe pas trop sur la question car pour ma part, je prends beaucoup de plaisir à en consommer, et je ne souhaite rien d’autre aux consommateurs. A chacun sa manière, du moment que ça plait.
Apparemment, votre travail ne passe pas inaperçu en Europe, ni même au Japon ?
Oui, je suis assez flatté de ça… Saveurs et Nature a trouvé sa place en Belgique et en Suisse, pays avertis en la matière et qui sont les plus gros consommateurs de chocolat en Europe. Avec le Japon, ce fut une réelle surprise pour toute notre équipe : nous avons affaire à des clients qui cherchaient depuis des années le top du top en bio, avec des chocolats capables de rivaliser avec les meilleurs productions des grands noms parisiens. Ils sont venus avec plein d’échantillons de ces maîtres, ont comparé et nous ont choisis. Ils nous font de très grosses commandes aujourd’hui, et communiquent beaucoup autour de ma personne, ce qui ne me met que moyennement à l’aise… Quelque part, j’ai la chance de n’avoir aucun effort de communication à faire, ils le font pour nous, à leur manière…
(Note de la rédaction : vous avez compris ce que Jean-Michel Mortreau n’a pas osé nous dire… Il est en voie de starification totale ! Tapez donc son nom sur Internet et cliquez sur les icônes asiatiques qui vous seront proposées : textes, images, vidéo, de la folie douce…)
A vous de jouer !
Votre emballage est formidablement clair et engageant : vous indiquez, grâce à un graphique simple, la douceur ou la force de chaque tablette, de 1 à 10. La dégustation de chacune des tablettes, en commençant par la plus douce jusqu’à la plus corsée, est un véritable voyage enchanteur. Quelques mots sur chacune d’elle pour donner envie à tous ?
Nous savions que chacun de nos produits était différent… La classification a été faite suite à des dégustations en interne dans l’entreprise, à l’aveugle. Puis on a renouvelé l’expérience avec des consommateurs, en famille, et aussi avec les Japonais, qui étaient huit autour de la table…
Haïti et Equateur sont donc des chocolats de connaisseurs ?
Pas forcément. Un connaisseur peut apprécier des vins de Loire ! Non, disons qu’on est plutôt sur le caractère. Comme les amateurs de Gigondas ! J’en profite pour signaler que l’association vin chocolat n’est pas souvent heureuse. Mais avec des vins doux, si : un porto, un Banyuls… Avec le whisky, c’est très beau, que ce soit en dessert – puisque le whisky peut être très apprécié en digestif – ou à l’apéritif, car on découvrira qu’un chocolat noir s’y prête ! Chocolat équateur et whisky tourbé, c’est excellent.
Restent les 100% ?
Ce n’est pas du chocolat à proprement parler, car le chocolat doit intégrer du sucre. Au début, je ne comprenais pas trop les consommateurs qui en réclamaient, suite aux conseils de ce fameux médecin qui le préconise avant les repas, pour créer une impression de satiété. Aujourd’hui, je m’habitue, et j’en consomme ; ça affine la connaissance du goût. J’ai choisi le Pérou pour la douceur, et Madagascar pour ses notes fruitées, qui permettent de ne rajouter de l’orange par exemple, puisque ces consommateurs attendent un produit pur.
Merci Jean-Michel Mortreau ! Des projets, pour terminer ?
Une belle aventure familiale en perspective : mon frère, dont on a parlé tout à l’heure, est éleveur et produit du lait. Nous avons en commun l’idée d’acquérir la capacité de transformer son lait en lait en poudre, afin de l’intégrer à notre chocolat. Il travaille beaucoup sur l’alimentation de son bétail, le goût de notre chocolat au lait sera certainement très intéressant !
JM