Fabriquer de vrais bons sorbets, à l’image de ceux que l’on peut confectionner maison avec des fruits du jardin, beaucoup de fruits du jardin, juste un peu d’eau et de sucre : tel était le pari de Terre Adélice à sa création en 1995, et tel est toujours le credo de la belle ardéchoise, label bio en plus.
En 1995, Bertrand et Xavier Rousselle sont fraîchement licenciés de postes importants dans de grandes entreprises. Les deux frères partagent l’envie de transformer des fruits à l’intérieur de leur zone de production, le Nord Ardèche, tout en évitant soigneusement de reproduire les modèles économiques qu’ils viennent de quitter… Un constat vient s’ajouter : les vraies bonnes glaces riches en fruits frais et dépourvues d’ingrédients indésirables (arômes, colorants, émulsifiants et autres joyeusetés) sont très rares. À titre d’exemple, voici ce que l’on peut trouver dans un sorbet framboise conventionnel : eau, purée de framboise 30%, sucre, sirop de glucose-fructose, arôme naturel framboise, jus concentré de sureau, gélifiants : pectines, gomme tara, gomme xanthane, acidifiant : acide citrique, colorant : rouge de betterave, protéines de pois hydrolysées (protéines de pois hydrolysées, sucre). Miam.
Bertrand et Xavier se forment chez des maîtres glaciers et s’installent dans la ferme où ils élèvent depuis longtemps des chèvres. Ils produisent les sorbets de leurs rêves… Mais également des Picodons, le fromage de chèvre local ! Leur clientèle d’alors, ce sont des restaurateurs auxquels ils livrent à la fois fromage et dessert. Ceux-ci les incitent à se lancer dans des crèmes glacées à base de lait entier, suggèrent de nouveaux parfums, lancent des défis qui seront relevés (une glace au jasmin, à la truffe, au Roquefort…). Pour chaque parfum, l’objectif est d’abord de mettre au point un sorbet. C’est ainsi que sont nés les sorbets cacao, châtaigne, noix… C’est uniquement lorsque le parfum est trop subtil (fleurs, fines herbes, noisette…) que le recours aux produits laitiers est envisagé, et que le sorbet se fait crème glacée.
Les chefs restaurateurs sont restés de véritables partenaires pour les frères glaciers, bientôt rejoints par Véronique, la femme de Bertrand. Longtemps salariée de l’association de producteurs bio du département (Agribio Ardèche), cette dernière leur permet de tisser des liens solides avec les maraîchers et les éleveurs. A l’époque, les glaces Terre Adélice ne sont pas totalement bio, la démarche étant celle d’un retour au « naturel » avec une composition allant jusqu’à 60 à 70% de fruits dans les sorbets. Elles le deviennent petit à petit, le cap du « 100% bio » étant fixé pour 2020 !
Au fil du temps, l’entreprise a grossi et il a bien fallu pousser les murs. Dans cette Ardèche des Boutières, zone montagneuse où l’on va de pentes raides en routes sinueuses, les terrains plats sont rares et il est plus cohérent de les laisser aux agriculteurs : « On vit par et grâce à eux ! », nous rappelle-t-on fort à propos. Pourtant, pas question de s’éloigner de ce Nord Ardèche où est née Terre Adélice. C’est pourquoi lorsque se présente l’opportunité de reprendre le bâtiment d’un ancien moulinage à soie, l’entreprise n’hésite pas. Le bâtiment, situé à St Sauveur-Montagut, est à l’image des moulinages en activité dans les Monts d’Ardèche jusqu’au xixe siècle : une immense bâtisse construite en fond de vallée, le long d’un cours d’eau. Deux cents ouvriers, principalement des ouvrières, y travaillaient quotidiennement. Certaines y vivaient. Le lieu est un dédale de pièces voûtées sur plusieurs étages, totalement hors du temps, qui nécessite d’importants travaux. Ils seront heureusement pris en charge par la Communauté de communes, et Terre Adélice emménagera en même temps que deux petites structures, dont une école de musique désormais chargée de la bande-son !
Pour l’ensemble des matières premières, Terre Adélice fait le choix de la proximité. Cela vaut aussi pour le sucre, issu de la filière de betterave sucrière bio européenne (et probablement un jour française, lorsque cette dernière sera structurée). Le lait est celui de producteurs du plateau ardéchois auxquels le glacier achète plus de 150 000 litres par an… Et pas mal de crème en passant ! Quant aux fruits, l’Ardèche et la Drôme voisine offrent une profusion incroyable, qui occasionne fin juin un beau pic d’activité… L’occasion de renforcer les liens avec les maraîchers, d’ajuster la qualité et la maturité des fruits que le glacier veut recevoir « mûrs comme pour être mangés ».
Dès leur arrivée, les fruits frais sont réduits en purée. Cette purée crue sera congelée puis utilisée en fonction du planning de production. Pour chaque sorbet, l’eau et le sucre sont fondus, pasteurisés et refroidis. C’est à ce moment-là que l’on incorpore la purée de fruits, avant le passage en turbine. C’est tout ! Côté glace, on prépare d’abord une crème anglaise à base de lait entier, à laquelle on ajoute le parfum choisi et la crème fraîche, avant de turbiner. Puis, direction la Terre Adélie… Pardon, le congélateur ! Car dès janvier, il s’agit de faire du stock pour l’été. En passant, on hume l’odeur de l’atelier pâtisserie : tout est fait maison chez Terre Adélice. On y mitonne caramel, spéculoos, brownies ou encore cornes de gazelle… « Tout ce qu’on peut faire, on le fait » ! L’essentiel étant d’avoir des idées, mais celles-ci ne manquent pas. Les salariés y contribuent, les partenaires restaurateurs aussi. Riz au lait, thé matcha, fleur de monarde, fenouil, potimarron-châtaigne : les parfums sont aussi audacieux qu’exotiques, raffinés ou symboliques du terroir ardéchois. La lecture de la liste des 150 parfums offre à elle seule un voyage mental des plus savoureux !
« Ce n’est pas dans notre ADN de nous étaler », soulignent les fondateurs de Terre Adélice, qui a toujours cheminé discrètement. On vous le dit quand même : depuis deux ans, l’entreprise a opté pour un modèle ambitieux, celui de l’entreprise libérée. Dans cette forme de management horizontale, tout salarié peut prendre une initiative à condition d’avoir consulté les collègues impactés. En rendant chacun plus autonome et plus responsable, l’objectif est aussi de solidifier l’entreprise, pour mieux la transmettre. Souhaitons-lui longue vie !
CC