Une crise du cacao ?

Entretien avec Kaoka,
spécialiste du chocolat bio

La situation est inédite : partout dans le monde, le cacao va mal. Plantations vieillissantes, dérèglement climatique, sols appauvris… Les experts de la filière tirent la sonnette d’alarme. Entretien avec Sébastien Balmisse, responsable du suivi des filières chez Kaoka, et Naeva Laurens, responsable communication de ce fabricant historique de chocolat bio et équitable.

Que s’est-il passé ces derniers mois ?
Entre les années 1970 et 1990, la production de cacao s’est massifiée et concentrée sur deux pays d’Afrique de l’Ouest : la Côte d’Ivoire (2 millions de tonnes/an) et le Ghana (un peu moins de 1 million). Lorsqu’un facteur climatique affecte le continent africain, c’est toute la production mondiale qui subit l’onde de choc. Depuis quelques années, la production stagne dans ces deux pays alors que la demande mondiale continue à augmenter. Là-dessus est venu se greffer le phénomène El Niño, qui se caractérise par des températures anormalement élevées de l’eau au large du Pérou et de l’Équateur, avec de fortes pluies sur la partie côtière. Très impactant en Amérique du Sud, El Niño a également eu des incidences climatiques importantes en Afrique de l’Ouest. Des précipitations abondantes suivies d’épisodes de sécheresse ont aggravé de manière alarmante certaines maladies phytosanitaires qui touchent le cacaoyer, dont le rendement a été très affecté.

À ces facteurs climatiques s’ajoutent des données structurelles…
En Afrique de l’Ouest, la cacaoculture s’est développée sur une logique de culture itinérante et de front pionnier. Ce mécanisme consiste à étendre les superficies cultivées en abattant des forêts afin d’installer des cacaoyers. Dans les principaux pays producteurs de cacao, les forêts étaient jusqu’à présent peu protégées. En 2017, l’ONG Mighty Earth a dénoncé la destruction de parcs nationaux par l’industrie du chocolat, et notamment la mise en péril de l’habitat de chimpanzés et d’éléphants. Trois industriels, qui détiennent à eux seuls la moitié du marché du chocolat, se sont engagés à mieux contrôler leurs approvisionnements… mais bien trop tard. Il ne reste plus beaucoup de forêts en Côte d’Ivoire. La filière doit se sédentariser et apprendre des pratiques qui lui sont inconnues. Les cacaoyers existants sont vieillissants et peu résistants. Les sols sont appauvris par la déforestation.

Quel est le rôle de la spéculation dans la hausse du cours du cacao ?
La production a baissé de 20 % en Côte d’Ivoire, où une personne sur 5 vit de la culture du cacao, et de 30 % au Ghana. Sur les 5 millions de tonnes annuelles, près de 500 000 manquent à l’appel. Cela a forcément un impact sur le cours mondial du cacao. Les stocks disponibles diminuent et les prix montent. La tonne s’achetait 2000 dollars en 2022. En 2024, on a dépassé les 11 000… Mais il est difficile de dire ce qui est dû à la seule spéculation. Ce qui est sûr, c’est que l’on observe une très forte volatilité du cours du cacao.

Quelle stratégie Kaoka met en œuvre dans ce contexte ?
Nous avons mis sur pied trois de nos quatre filières de cacao. Nous travaillons avec les mêmes acteurs depuis parfois plus de 20 ans. Le fait d’avoir des filières intégrées présente de nombreux avantages : nos approvisionnements sont garantis, nous maîtrisons la traçabilité et la qualité de notre cacao. C’est le même mécanisme qui garantit un chocolat bio, équitable et de qualité. Nous apportons un préfinancement à 100% aux coopératives pour les soutenir économiquement et nous engageons à acheter 100% des récoltes aux producteur. Nous les accompagnons sur le plan technique. Le fonds de développement alimenté dans le cadre de BIOPARTENAIRE leur permet d’investir afin d’améliorer leur productivité et leurs conditions de travail.

Quelles sont ces filières ?
Elles se situent en Équateur, au Pérou, en République dominicaine et à São Tomé. L’Équateur a été touché par El Nino avec de fortes pluies et des températures anormalement élevées, tandis que la République dominicaine a affronté une très forte sécheresse. Le Pérou fait face à des sols fortement dégradés. En Amérique du Sud, les marchés réagissent très fortement aux cours de la Bourse. La situation est complexe et la production a beaucoup baissé. Tous les acteurs étant en recherche de cacao, les intermédiaires sont très agressifs sur les prix. Dans nos filières, nous laissons les coopératives fixer leurs prix aux producteurs pour rester compétitives et préfinançons l’ensemble des récoltes. Nous cherchons ensemble des solutions et ne les laissons jamais tomber.

Comment est-ce que Kaoka construit l’avenir avec ces producteurs ?
Nous réfléchissons ensemble à des techniques de culture innovantes pour rénover les plantations en agroforesterie et ainsi améliorer la qualité et la quantité des récoltes. La sélection naturelle de variétés productives, plus résistantes aux maladies ou à la sécheresse ainsi que l’enrichissement des sols par apport de compost ou couvert végétal en font partie. Malgré le contexte, la qualité de notre cacao s’améliore d’année en année.

Quel sera à votre avis l’impact de cette crise du cacao sur le consommateur ?
Le prix du chocolat a ou va forcément augmenter de manière importante. Le secteur du chocolat risque de se concentrer, avec la disparition de petits acteurs. La consommation risque de s’écrouler et le marché devrait se stabiliser à un prix élevé. Dans ce contexte, le chocolat risque de redevenir un produit de luxe. On peut s’attendre à voire certains acteurs faire évoluer leurs recettes pour tirer les prix vers le bas par exemple : plus de sucre avec un pourcentage de cacao moins élevé) ou baisser le grammage de leur gamme. Chez Kaoka, les recettes ne changent pas : la qualité est toujours au rendez-vous. Nous accompagnons les amoureux de chocolat avec des références en vrac et des gammes adaptées à tous les budgets. Nos palets de chocolat en vrac prennent désormais la forme de cabosses, pour symboliser notre lien aux filières.