Une pêche s’il vous plait, par gourmandise !

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peche4Enfin ! La voici dans votre assiette où, d’une lame bien affûtée, vous allez dessiner quatre quartiers parfaitement égaux qui se détacheront aisément d’un beau noyau rouge. Puis viendra, yeux fermés, le délicieux moment où vous la laisserez fondre contre votre palais, en la sacrant définitivement fruit d’entre les fruits. Si seulement elle n’était pas si inconstante, cette pêche !

Car pour que vous puissiez vivre cet instant de félicité, il a fallu déployer des trésors d’attention et de soins dans un contexte de grande incertitude. La pêche commune, celle à l’épiderme velouté, tout comme sa soeur à peau lisse que nous avons coutume d’appeler nectarine (ou brugnon), est un fruit rebelle aux exigences de nos moeurs délocalisées, celles qui consistent par exemple à consommer un fruit loin des rameaux qui l’ont porté, et pas tout de suite. Idéalement, il faudrait la choisir quotidiennement sur l’arbre avec un oeil si ce n’est expert, du moins avisé. Toujours mûre à point, les vilains champignons éventuellement présents n’auront même pas le temps de commettre leurs méfaits. Mais, lorsque qu’il s’agit de voyager et d’attendre un peu l’assiette à dessert, c’est une autre paire de manches : il faut alors concilier de nombreux paramètres, parfois antagonistes. Voyons voir !

Pour le consommateur final, pêches et nectarines (ainsi que les abricots dans une moindre mesure) ne se différencient pas du tout par leurs caractéristiques variétales. Préférez-vous une Onyx, une Bénédicte ou une Bellerime, à chair blanche, ou plutôt une pulpe jaune comme Coraline, Conquise ou Diamond Princess? Autant de noms inconnus car rarement communiqués, bien que les textures et qualités gustatives soient différentes. Les nombreuses variétés de pêches défilent les unes après les autres au fur et à mesure de leur venue à maturité, de façon à couvrir nos besoins durant tout l’été, sans long stockage frigo. Sitôt cueillie, presque sitôt dégustée, c’est la règle pour tous les opérateurs, le « presque » équivalant généralement à 2 à 4 jours. Au final, votre arbitrage se fera entre une chair blanche ou une chair jaune, la meilleure restant… votre préférée, bien sûr.

peche6Un des grands cas de conscience de l’arboriculteur qui veut prendre soin de son client est celui de la date de cueillette. La débuter au moment idéal, qui tiendra compte des délais de mise en marché, pour présenter un fruit à son apogée au consommateur. Trop attendre et se présente alors le risque de surmaturité, concept qui colle aux doigts bien que faisant le bonheur des amateurs. Qui achètera un fruit avec un épiderme dégonflé par zones, ou humide de son jus, même si son goût est exquis ? L’habit fait toujours le moine. Alors, jouer la sécurité et cueillir trop tôt ? C’est prendre le risque de présenter des boules de pétanques qui seront finalement croquées par dépit (ah, les pêches de Mémé !).

La bonne option se situe entre les deux avec pour arbitre le savoir-faire de l’arboriculteur. De fait, une bonne maturité présente l’avantage de rendre la pêche plus résistante à un de ses grands ennemis, le champignon Monilia, responsable de la déliquescence brutale de nombre de fruits après cueillette.

peche8On peut affirmer sans hésiter que moniliose et cloque du pêcher sont responsables des difficultés et de la stagnation de la production bio de pêches en France. Nos arboriculteurs sont particulièrement désarmés par leur choix de culture. Certes, les champignons sont présents également sur les vergers conventionnels, mais l’arsenal antifongique chimique leur fournit des armes. L’épiderme des pêches est fin et très fragile, il est de plus très fissile. Certaines phases de croissance provoquent de fins déchirements où s’engouffrent avidement les spores de Monilia qui passent par là. Le risque est toujours là, étroitement lié à la météo (humidité et chaleur), même lorsque les précautions élémentaires sont prises (écartement des rangs ainsi que des rameaux fruitiers, taille favorisant l’aération ainsi que la pénétration de la lumière). Dans notre terroir d’approvisionnement drômois, un allié de taille cependant : le mistral, qui balaye la vermine de ses bourrasques répétées.

Aller vers des variétés plus résistantes, telle semble être la voie la plus évidente pour faire face. A ce jour, la recherche agronomique est plus dirigée vers des objectifs d’aspect, de couleur et de texture de l’épiderme. Avez-vous remarqué que nombre de nouvelles variétés avaient perdu leur « peau de pêche » pour devenir plus lisses et plus colorées ? Notre ami Joel Fauriel ne désespère cependant pas du retour ou de l’obtention de variétés plus adaptées à la menée en bio. Sur le long terme bien sûr, car un verger n’est pas une bande maraîchère où l’on peut agir d’une semaine à l’autre.

Votre part (la nôtre aussi) dans ce combat consistera à faire au mieux pour endiguer la progression de ces taches brunes sur les fruits qui dorment dans les cagettes ou dans une corbeille sur le buffet. Ecoutons les conseils avisés d’Yvan et Jocelyn Carle, arboriculteurs bio-dynamistes à Loriol, et gérants de la société Carle Fruit Nature, notre fournisseur principal.

peche10Pour tout ce que vous ne consommerez pas immédiatement :

– pas de corbeille à fruits. Les pêches n’aiment ni la chaleur, qui les dégrade avant leur maturité optimale, ni la promiscuité avec d’autres, les champignons voyageant d’autant plus facilement.

– conservation au frigo, pêches séparées les unes des autres, en prévoyant de les sortir le soir pour un stockage dans une pièce tempérée, de façon à les déguster le lendemain.

Ces quelques précautions réduiront significativement la propagation du champignon, sans malheureusement éliminer totalement ses méfaits.

Eclaircissons cependant ce sombre tableau ! Une pêche vous déçoit et toutes les autres seraient du même acabit ? Que nenni, nos pêches restent majoritairement de beaux et bons fruits, faits de soleil et de pluie, sans molécules savantes et chimiques additionnelles. Est-il besoin de le rappeler ?

Alain Poulet

Toutes les photos de cet article sont la propriété d’Agrobiodrôm